Villes intelligentes : pour le peuple ou pour le profit ?

Chaque année, la Journée mondiale des villes est célébrée le 31 octobre. Cette journée a été proclamée par l'Assemblée générale des Nations Unies dans la résolution 68/239 afin de sensibiliser l’opinion publique aux nombreux défis posés par l'urbanisation rapide, l'inclusion sociale et le développement économique à l'échelle locale. Le thème de 2019 « Transformer le monde : innovations et vie meilleure pour les générations futures » invite à se pencher sur les manières dont l'application aux villes des innovations, des nouvelles technologies de l'information, des technologies numériques, ainsi que de l'intelligence artificielle (IA) remodèlent la planification urbaine, les politiques, les marchés publics, la gouvernance et les services publics locaux.

Si l’ONU considère les technologies numériques comme une occasion d'améliorer l'efficacité et l'accessibilité des services, de favoriser l'inclusion et d'améliorer la vie des communautés locales, elle reconnaît toutefois le risque de creuser les écarts existants et amplifier les inégalités et l'exclusion.

Pour l'ISP, rien n'incarne mieux ce dilemme que le concept de « villes intelligentes », terme à la mode dans les politiques urbaines et dans les administrations locales.

L’expression « villes intelligentes » désigne généralement une approche intégrée de la numérisation des services urbains et des administrations locales en recourant aux technologies telles que les détecteurs numériques, les caméras, les logiciels de collecte et de traitement des données pour optimiser l'efficacité des ressources notamment :

  • · l'emploi des détecteurs de mouvements pour l’éclairage public et les fontaines à eau ;

  • · la planification des itinéraire des services de collecte de déchets en utilisant les signaux des « poubelles intelligentes » ;

  • · le contrôle de la circulation routière en fonction de la densité du trafic.

Ces mêmes technologies sont également utilisées pour prédire la criminalité à l’aide de « cartes de zones sensibles » ou pour anticiper les urgences et les catastrophes en fonction des prévisions de précipitations. Le terme « villes intelligentes » renvoie en outre aux manières d’améliorer l’inclusion des habitant-e-s et l’accès aux services publics ainsi que d'influencer, de manière plus efficace, les politiques sociales et environnementales dans les villes en mettant en place des interactions participatives entre les autorités locales et les citoyen-ne-s et les usagers. Ces interactions se réalisent via des enquêtes en ligne, des applications de consultations sur les smartphones, des systèmes de feedbacks numériques, et des services de Wi-Fi gratuits et accessibles dans les espaces publics.

Si les villes intelligentes recèlent un immense potentiel pour favoriser l'inclusion sociale et la participation des habitant-e-s aux services publics locaux, aux politiques urbaines et à la gouvernance, selon le rapport récemment publié par l’ISP « La numérisation et les services publics : une perspective syndicale », c'est la manière dont ces villes sont dirigées, par les pouvoirs publics ou par les entreprises, qui détermine si elles servent le peuple ou le profit. La version complète du rapport de l'ISP (en anglais) a été publiée aujourd'hui.

Le rapport constate que « les données extraites des programmes de ville intelligente dans les pays en développement démontrent que sous la belle promesse de créer des villes propres et « intelligentes », se cache un outil pour attirer les investissements étrangers directs pour promouvoir des PPP axés sur la technologie ainsi que la privatisation des services publics locaux. Il est rare qu’un programme de ville intelligente vise à améliorer l’accès aux services publics, à lutter contre les inégalités, à répondre aux besoins de la population ou encore à redéfinir les données comme des biens communs plutôt qu’une marchandise privée. »

Les 100 « villes intelligentes » sélectionnées en Inde et les deux projets kényans Konza Technopolis et Silicon Savannah ont créé des enclaves d’investissement considérable, de technologies de l'information et de la communication ainsi que des services « intelligents » qui attirent les investissements privés et ceux des entreprises. Cette approche présente des inconvénients : les groupes à faible revenu ont été expulsés vers la périphérie et les bidonvilles tandis que les usagers et usagères doivent payer des frais plus élevés pour accéder aux services essentiels, notamment les services de distribution de l'eau. Le prix de l’immobilier dans les quartiers « intelligents » bourgeois dépasse aujourd’hui les moyens de la population locale.

En Espagne, la ville de Barcelone a mis en place une approche différente : une « ville intelligente » dirigée par les pouvoirs publics. Leur stratégie vise à mettre la technologie aux services de la ville pour :

  • · améliorer les conditions de vie et de travail des citadin-e-s ;

  • · atteindre les objectifs sociaux et environnementaux ;

  • · faciliter la participation démocratique et l’inclusion des citoyen-ne-s, des utilisateurs et utilisatrices des services ; et

  • · promouvoir les biens communs et la souveraineté numériques en tentant d’établir un système de gouvernance local pour que les données des citoyen-ne-s et usagers des services publics soient utilisées de manière équitable et éthique.

En fin de compte, ce qui différenciera les villes intelligentes qui servent le peuple de celles mises en place principalement pour le profit privé, c’est l'objectif fixé par les autorités publiques lors de l'élaboration des programmes de numérisation urbaine. Une ville intelligente, qui sert le peuple, requiert des mécanismes de gouvernance et de participation permettant de garder le contrôle des technologies des villes intelligentes et de les mettre aux profits d’objectifs sociaux et environnementaux dans l’intérêt public. Pour y parvenir, des règles et des indicateurs bien définis pour le respect des droits humains et des droits des travailleurs et travailleuses doivent obligatoirement être mis en place. De plus, il faut s’assurer que la population ait la possibilité de demander des comptes aux autorités et aux entreprises pour leurs services urbains et locaux.

Le 31 octobre 2019, le message de l’ISP envoie le message suivant : « Les villes intelligentes doivent servir le peuple et non le profit. »

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Rapport succinct: La numérisation et les services publics : une perspective syndicale