Déclaration du groupement Global Unions à la CSW69 Un nouveau contrat social ancré dans un programme porteur de transformations pour l’égalité des genres
L'ISP et les syndicats mondiaux appellent à une action urgente lors de la CSW69/Beijing+30 pour un nouveau contrat social transformateur en matière de genre. Ils demandent le respect des droits des femmes en matière de travail, la fin de la violence fondée sur le genre et des réformes globales dans le domaine des soins, de la transition numérique et de l'équité salariale. Ces mesures visent à démanteler les obstacles structurels et à instaurer une véritable justice entre les femmes et les hommes dans un contexte de crises mondiales multiples.
Comms
Le 30e anniversaire de l'adoption de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing intervient dans un contexte de crises multiples. Entre les effets dévastateurs des politiques néolibérales, l'austérité et les menaces existentielles dues au changement climatique et aux bouleversements technologiques, les difficultés que connaissent les travailleuses sont à la fois diverses et interconnectées et entraînent de lourdes conséquences sur l'égalité entre les hommes et les femmes, ainsi qu’un recul mondial des droits humains et des droits du travail, et une augmentation du racisme, de la xénophobie, de la violence, de la discrimination et de l'exploitation.
Nous arrivons à un moment crucial, qui nécessite une action urgente et déterminante. Le mouvement syndical mondial exhorte les États membres des Nations Unies à saisir l'occasion qu’offre la 69e session de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies (CCF69) pour changer radicalement de cap. La Déclaration de la CCF69 doit soutenir l'appel des travailleurs en faveur d'un nouveau contrat social ancré dans un programme porteur de transformations pour l’égalité des genres, en phase avec les ODD et fondé sur une approche intersectionnelle. C'est la seule façon de démanteler les obstacles structurels persistants auxquels se heurtent les femmes, entre la classe, le genre, la race, l'origine ethnique, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, l'âge, le statut de migrante ou d'autochtone, ou encore le handicap, et de répondre aux besoins de celles qui ont déjà été laissées de côté dans le passé.
Le financement de politiques, d’infrastructures et de services publics porteurs de transformations pour l’égalité des genres est indispensable et réalisable. Une réforme de l'architecture financière internationale est nécessaire pour mettre les investissements en adéquation avec les objectifs de développement durable (ODD) et les normes de l'Organisation internationale du travail (OIT), soutenir les cadres des Nations Unies sur la fiscalité et la dette, promouvoir une imposition progressive et réformer les institutions financières internationales (IFI) afin de donner la priorité aux droits humains plutôt qu'au profit privé.
La justice économique pour les femmes ne peut être atteinte sans travail décent, et le travail décent est impossible sans le respect des principes et des droits fondamentaux au travail, à commencer par la liberté syndicale et le droit de s'organiser et de négocier collectivement. L'adhésion à un syndicat et l'exercice des droits de négociation collective sont les moyens les plus efficaces pour faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde du travail. En outre, ces droits sont essentiels pour promouvoir une approche féministe de la fonction dirigeante sur le lieu de travail et dans la société en général.
La CCF doit reconnaître la place unique qu’occupe l'OIT, compte tenu de son rôle moteur dans l’histoire, de son expertise en matière de promotion de l'égalité des genres dans le monde du travail, et de sa structure tripartite typique, qui favorise l'adoption de normes du travail permettant d'améliorer concrètement la vie des travailleuses.
PRINCIPALES DEMANDES DES SYNDICATS
Le mouvement syndical mondial demande que la Déclaration de la Commission de la condition de la femme prenne des engagements sur les points suivants:
ÉGALITÉ DES GENRES POUR LA JUSTICE SOCIALE, LA DÉMOCRATIE ET LA PAIX
L'égalité et l'inclusion permettent de vivre dans un monde où règnent une paix durable, la démocratie et la justice sociale. Or, la démocratie est attaquée de toutes parts à travers le globe, face à la montée des régimes autoritaires et totalitaires. La Déclaration de la CCF69 doit comporter des engagements concrets pour bâtir un monde exempt de toute discrimination, y compris des formes entrecroisées de discrimination, d'extrémisme, de violence et d'intolérance. De surcroît, les États membres des Nations Unies doivent s'engager à protéger la démocratie partout dans le monde, en veillant à ce que les conditions nécessaires au plein exercice de tous les droits humains – universels, indivisibles et inaliénables – soient réunies pour tous, notamment pour les femmes, dans toute leur diversité.
En vue d’assurer la démocratie pour les femmes au travail et dans la société, il faut: garantir leur droit fondamental à la liberté syndicale, à la négociation collective et au droit de grève; défendre le droit à la liberté d'expression; parvenir à un salaire égal pour un travail de valeur égale; mettre fin à la discrimination et à la violence et au harcèlement fondés sur le genre sur le lieu de travail; améliorer l'accès des femmes au travail et leur évolution de carrière en redistribuant et en harmonisant les responsabilités liées aux soins des personnes dépendantes; accroître l'accès des femmes à l'éducation, au développement des compétences, à la formation et à l'apprentissage tout au long de la vie; promouvoir une participation et une représentation équitables des femmes aux postes de direction et dans les processus de prise de décisions, notamment le dialogue social et la négociation collective; soutenir les droits fondamentaux des femmes à l'autodétermination, y compris à la santé et aux droits en matière de sexualité et de procréation.
Les interconnexions entre l'égalité des sexes et la paix durable doivent également figurer dans la Déclaration de la CCF69. Dans des contextes de conflit armé, il faut soutenir, à l’aide d’un financement suffisant, la participation égale des femmes et leur pleine implication dans tous les efforts visant à promouvoir la paix et la sécurité, en particulier dans les négociations de paix et les services publics essentiels de première ligne. En même temps, il faut assurer la protection des femmes contre la violence dans les zones de conflit, tout en leur donnant accès à la justice et à la réparation, comme le prévoit la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les opportunités économiques pour les femmes au moment de la reconstruction après les conflits sont tout aussi essentielles, de même que la promotion du travail décent pour atteindre une paix et une stabilité durables. Il s'agit à cet égard d'aider les femmes déplacées en raison d'un conflit à retourner volontairement dans leur territoire d'origine.
LES DROITS DU TRAVAIL DES FEMMES SONT DES DROITS HUMAINS
Les syndicats demandent que la Déclaration de la CCF69 comporte un engagement ferme en faveur du respect des principes fondamentaux et des droits au travail de l'OIT pour toutes les femmes, et de la ratification et de l’application effective des normes internationales du travail. Cet engagement devrait englober la liberté syndicale et la négociation collective, l'élimination de toutes les formes de travail forcé, l'abolition effective du travail des enfants, l'élimination de la discrimination en matière d'emploi et de profession, et la garantie d'un environnement de travail sûr et sain. La liberté syndicale et la reconnaissance effective du droit de négociation collective sont essentielles à la réalisation du programme du travail décent pour les femmes, comme le reconnaît l'OIT. Ces droits fondamentaux doivent être respectés, encouragés et mis en œuvre à tous les niveaux des chaînes d'approvisionnement et pour tous les travailleurs et travailleuses, qu’ils occupent un emploi formel ou informel, qu’ils soient migrants ou non, qu’ils vivent dans des zones rurales ou urbaines, ou qu’ils travaillent dans le secteur public ou privé.
La mise en place de systèmes de protection sociale universels et sexospécifiques, dotés d'un financement suffisant et durable, est essentielle pour que les femmes puissent bénéficier pleinement des droits humains. Les politiques spécifiques visant à combler le fossé entre les hommes et les femmes en termes de protection sociale doivent promouvoir le travail décent pour toutes les femmes, reconnaître les périodes de soins prises en compte dans des systèmes de protection sociale contributifs de sorte à maintenir les niveaux de cotisation, prévoir des congés de maternité, de paternité et parentaux rémunérés, et d'autres congés liés aux soins qui favorisent un partage égal des responsabilités familiales et de soins. Ces politiques devraient également soutenir le développement de socles nationaux de protection sociale pour tous, notamment pour les femmes qui occupent des emplois précaires et informels, telles que les travailleuses domestiques et rurales. Des politiques doivent également être mises en place pour faciliter la transition des travailleurs vers l'économie formelle, réduire les disparités salariales entre hommes et femmes et promouvoir la liberté syndicale et la participation à la négociation collective pour les travailleuses.
Des services publics de qualité abordables, notamment l'accès universel à des services publics de qualité de santé, de soins, d'éducation et d'apprentissage tout au long de la vie, d'eau, de transport, d'énergie et d'infrastructures de communication, ont un effet égalisateur dans la société et sont essentiels à l'exercice des droits humains des femmes. Par conséquent, ces services doivent être porteurs de transformations pour l’égalité des genres, accessibles aux femmes dans toute leur diversité et protégés de la privatisation. Le financement durable des services publics doit reposer sur des systèmes fiscaux nationaux progressifs, des mesures de réforme fiscale (taux minimum mondial d'impôts sur les sociétés, taxes sur les transactions financières, impôts sur la fortune, mesures de lutte contre les flux financiers illicites et l'évasion fiscale des entreprises et des riches), et l'allègement de la dette. Les syndicats sont à la tête de la lutte mondiale contre la privatisation des services publics, qui s'est toujours traduite par un accès réduit aux services essentiels, la précarité de l’emploi, une hausse des inégalités, des salaires faibles et de mauvaises conditions de travail.
DES EMPLOIS DÉCENTS POUR LES FEMMES
La réalisation de l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'économie dépend fortement de l'égalité d'accès des femmes au travail décent. Les gouvernements doivent élaborer des politiques et des plans nationaux pour l'emploi et investir dans la création de 575 millions d’emplois décents d'ici à 2030, particulièrement dans le secteur des soins, dans le cadre d'une transition juste porteuse de transformations pour l’égalité des genres vers des économies écologiquement durables pour tous, et œuvrer à la formalisation, sous l'impulsion des travailleurs, d'un milliard de travailleurs de l'économie informelle – majoritairement des femmes.
Des systèmes nationaux complets de soins sont indispensables pour faire progresser la participation des femmes au marché du travail et pour bâtir une société plus juste et plus inclusive. Les syndicats appellent à la mise en œuvre de systèmes de soins complets et suffisamment financés, correspondant au cadre des 5R de l'OIT: reconnaître, réduire et redistribuer le travail de soins non rémunéré; récompenser les travailleurs de soins rémunérés, en générant un travail de soins plus important et de meilleure qualité pour tous les travailleurs et travailleuses, indépendamment de leur intersectionnalité ou de leur statut migratoire; promouvoir la représentation des travailleurs de soins, en s’appuyant sur la négociation collective et le dialogue social. Les syndicats demandent également que les soins soient reconnus comme un droit humain et un bien public, en rappelant la responsabilité première de l'État de dispenser et de financer directement des services de soins publics universels. Compte tenu de sa nature tripartite unique, de son expertise du monde du travail et de son pouvoir normatif, l'OIT doit jouer un rôle de premier plan pour promouvoir le travail décent dans l'économie des soins, comme le reconnaît la Conférence internationale du Travail de l'OIT de 2024.
La transition numérique devrait également être réglementée par le biais du dialogue social afin de promouvoir l'égalité des sexes et d'atténuer les effets négatifs disproportionnés de l'automatisation et de la réorganisation du travail sur les femmes. L'intelligence artificielle (IA) engendre de nombreuses difficultés pour les femmes qui travaillent, notamment la violence en ligne fondée sur le genre, tels que le cyberharcèlement et les discours de haine, car elle reproduit et perpétue les stéréotypes de genre et la discrimination intersectionnelle. Ces questions aggravent la ségrégation professionnelle des femmes en raison des algorithmes utilisés par les plateformes. Les syndicats soutiennent l'adoption d'une nouvelle série de normes de l'OIT, sous la forme d'une convention et d'une recommandation sur le travail dans les plateformes, ainsi que la mise en place de politiques et de réglementations sur l'intelligence artificielle conformes aux ODD et aux normes de l'OIT.
UN SALAIRE ÉGAL POUR UN TRAVAIL DE VALEUR ÉGALE
L'absence de salaire égal pour un travail de valeur égale est l'un des principaux facteurs qui empêchent les marchés du travail d’être équitables et inclusifs et qui contribuent à la féminisation de la pauvreté, comme le souligne l’ODD 8 (emploi et travail décent). Les syndicats préconisent des approches systémiques et structurelles pour réduire les disparités salariales entre hommes et femmes. Il s'agit notamment d'établir un salaire minimum vital au moyen de procédures statutaires ou de négociations collectives, d’appliquer une législation sur l'équité salariale et la lutte contre la discrimination, de faire passer des lois sur la transparence des rémunérations et d'adopter des quotas ou des initiatives ciblées pour former, recruter et retenir les femmes dans les secteurs où elles sont sous-représentées, tels que la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques, et de revaloriser les professions et les secteurs féminisés. Il est essentiel de promouvoir la négociation collective, le dialogue social et la participation active des femmes dirigeantes dans les structures syndicales, de même que la ratification et la mise en œuvre effective des conventions 100 et 111 de l'OIT. Des politiques et des campagnes spécifiques doivent lutter contre la discrimination et les stéréotypes fondés sur le genre, au travail et dans la société, qui contribuent aux préjugés sexistes et à la ségrégation professionnelle.
UN MONDE DU TRAVAIL EXEMPT DE VIOLENCE ET DE HARCÈLEMENT FONDÉS SUR LE GENRE (convention 190 DE L’0IT)
L'élimination de la violence et de la discrimination à l'égard des femmes, en particulier la violence et le harcèlement fondés sur le genre sur le lieu de travail, est essentielle pour faire progresser l'égalité entre les hommes et les femmes. Les syndicats appellent à la ratification et à la mise en œuvre effective de la convention 190 et de la recommandation 206 de l'OIT, en procédant à des réformes intersectionnelles et porteuses de transformations pour l’égalité des genres au niveau national dans la législation, les politiques et les conventions collectives, et en adoptant des politiques sur le lieu de travail qui s'attaquent aux causes profondes de la violence et du harcèlement fondés sur le genre.
Les politiques sur le lieu de travail qui protègent les femmes contre la violence et le harcèlement, y compris la violence domestique et le féminicide, doivent être conçues et mises en œuvre avec les syndicats. Ces politiques doivent soutenir les survivantes et, dans cette perspective, garantir la sécurité de l'emploi et des revenus, offrir des modalités de travail leur permettant d’être moins exposées, et exiger que les auteurs des actes de violence et de harcèlement rendent des comptes.
Les syndicats demandent un investissement accru dans la prévention et un financement plus important des services publics de lutte contre la violence, c’est-à-dire en faveur de systèmes d'éducation porteurs de transformations pour l’égalité des genres, de programmes de formation et de sensibilisation, de mécanismes de réclamation accessibles grâce au dialogue social, à des programmes de relance économique et de soutien juridique pour les survivantes, et à des services d’inspection du travail appropriés.