Les travailleurs-euses des services d’assainissement de l’eau jouent un rôle clé pour briser la chaîne de contamination

Certains virus peuvent survivre dans les matières fécales et dans les eaux usées pendant une période allant de 2 heures à 9 jours. Il est possible que ce soit également le cas pour le Covid-19. Didier Dumont, de la Fédération française CGT Services Publics, nous parle des risques encourus par ces travailleurs-euses

Alors que le monde entier célèbre, comme il se doit, le sacrifice et le travail acharné des professionnels de la santé en première ligne de la crise sanitaire mondiale, des millions d'autres travailleurs-euses continuent à fournir des services publics vitaux en assurant que le monde continue de fonctionner.

Les travailleurs-euses des services de l’eau potable et de l’assainissement jouent un rôle fondamental pour stopper la pandémie, d’une part en fournissant de l'eau potable pour se laver les mains, pour boire, nettoyer et se nourrir; d’autre part en nettoyant les eaux souillées par les activités humaines, qu’elles soient domestiques comme industrielles, évitant ainsi que de nombreuses autres maladies se propagent dans l'eau comme le choléra au 19ème siècle.

L'ISP a célébré le rôle et l'engagement des professionnels de l’eau et de l'assainissement qui assurent la sécurité de tous-tes lors de la Journée mondiale de l'eau le 22 mars dernier, en rappelant que l’eau et l'assainissement sont des droits humains, un droit auquel 2,4 milliards de personnes n'ont pas encore accès de manière adéquate, alors que 3 milliards n’ont pas la possibilité de se laver correctement les mains, un drame encore plus grave en temps de pandémie.

Souvent invisibles pour le grand public, les travaux d'assainissement sont en grande partie réalisés sous terre, dans les labyrinthes cachés des réseaux d'égouts et dans des stations d'épuration des eaux hautement sécurisées, usines et installations mises en atmosphère confinées pour protéger les populations, les riverains et l’environnement des effluves et contaminations. Par conséquent, peu de gens savent ce que font exactement les travailleurs-euses de l'assainissement.

Photo: CGT SP, France
Photo: CGT SP, France

"L'assainissement est souvent considéré comme le parent pauvre des services d'eau, mais c'est une erreur majeure. Sans l’assainissement, les services de production d’eau potable puiseraient leurs eaux brutes dans des lacs, rivières et nappes polluées par toutes les activités humaines. La faune et la flore des lacs, des rivières, des nappes phréatiques et autres milieux aquatiques en seraient gravement contaminées. Les services de l’eau et de l’assainissement travaillent en synergie et en coordination l’un avec l’autre, mais également avec les services de la filière déchets, notamment en ce qui concerne l'élimination des déchets solides" explique Didier Dumont, animateur national des services d'eau et d'assainissement de la Fédération française CGT Services Publics et travaillant au SIAAP, service public de l'assainissement d'Ile-de-France, qui conduit et traite les eaux usées d'un territoire urbain de plus de 12 millions d'usagers, emploie près de 2000 salariés qui exploitent, entre autres, les deux plus grandes usines d’épuration d’Europe.

Les travailleurs-euses de l'assainissement français et militant.e.s CGT savaient, grâce à leur expérience du SRAS en 2003 et de la grippe H1N1 en 2009, que certains virus et coronavirus peuvent survivre dans les matières fécales et dans les eaux usées pendant une période allant de 2 heures à 9 jours. Il est possible que ce soit également le cas pour le Covid-19, malgré qu’aucune étude concluante n’a été réalisée à ce jour.

"Le contact avec les eaux d’égout ne semble pas avoir été une source de contamination primaire pour les épidémies précédentes et selon les scientifiques et les médecins le contact direct entre personnes reste la principale modalité d'infection au Covid-19. Néanmoins, rien n’exclus aujourd’hui que la contamination par contact ou projection d’eaux d’égout, - voire simplement par respiration dans l’atmosphère chargée d’humidité et confinée des réseaux d’assainissement - soit impossible car aucune étude n’a été complétée qui le démontre", dit Didier Dumont en évoquant le principe de précaution.

"L’absence de recherche du Covid-19 dans les eaux usées n’est en aucun cas pour nous, travailleurs-euses des réseaux et installations d’assainissement, quelque chose de rassurant, d’autant plus que nous savons que des études confirment qu’il est présent dans les selles des personnes atteintes. Pour la CGT la précaution doit prévaloir et doit ordonner d’accentuer la mise en protection de tous", il ajoute.

Dans des conditions normales, les travailleurs-euses sanitaires utilisent des masques FFP2 pendant quatre heures ou des FFP3, qui doivent être changées toutes les deux heures

Comme les travailleurs-euses de l'assainissement sont en contact direct avec un environnement de travail à haut-risque, la fédération CGT Services Publics a écrit au gouvernement français pour lui demander d'effectuer des analyses systématiques des eaux usées pour le Covid-19.

Il s'agit d'une démarche essentielle pour connaître la longévité du virus et quantifier sa "charge virale" dans l'eau, ainsi que pour suivre la courbe d'évolution de la pandémie dans la population. À ce jour, la demande de reste sans réponse, même si d'autres pays comme la Suisse et les Pays-Bas ont déjà adopté cette procédure dans un premier temps afin d’avoir des données suffisantes pour lutter contre la pandémie actuelle, mais également pour développer un système d'alerte précoce pour de futures épidémies.

Bien que d'autres coronavirus humains soient éliminés par chloration, ozone liquide et désinfection aux rayons ultraviolets (UV), le manque de données scientifiques sur la survie du virus dans les eaux, d’autant plus dans celles non traitées et les eaux usées représente une préoccupation majeure pour la santé tant du public que des travailleurs-euses.

L'espérance de vie des travailleurs-euses du secteur de l'assainissement est considérablement inférieure à celle de la population moyenne, car ils sont exposés à un grand nombre de menaces dans leur environnement de travail. "Les égouts sont des environnements très humides où les microparticules de polluants domestiques comme industriels et des matières fécales restent longtemps en suspension, ce qui constitue une menace majeure pour la santé et la sécurité des travailleurs exposés à des cocktails de fortes concentrations de charges virales et bactériologiques, de gaz dangereux, notamment l’H2S gaz mortel, ainsi qu’à des métaux lourds, des pesticides et autres produits chimiques et de déchets médicaux", explique Didier Dumont.

Photo: CGT SP, France
Photo: CGT SP, France

Cet environnement de travail à haut risque exige une fréquence de remplacement plus élevée des équipements de protection individuelle (EPI). Dans des conditions normales, les travailleurs-euses sanitaires utilisent des masques FFP2 pendant quatre heures ou des FFP3, qui doivent être changées toutes les deux heures en raison du taux d'humidité élevé. En outre les agent.e.s doivent porter des gants, des bottes de sécurité, des combinaisons complètes couvrants l’ensemble du corps hormis le visage, couvert par des lunettes ou des visières et le masque, complètent leur équipement de protection individuel (EPI).

De plus, la réalisation de certains travaux ne peut se faire qu’avec des protections encore plus complètes comme le port d’ARI (appareil respiratoire isolant), qui inclut un système de respiration individuelle indépendant relié à des bombonnes d'air, matériel utilisé également par les pompiers lors de leurs interventions de secours. Outre les opérations telles que l'entretien des réseaux (nettoyage, curage, pompage, etc.) et les opérations de traitement de l'eau, d'autres menaces pour les travailleurs-euses liées à la pandémie actuelle se profilent autour de l’entretien des équipements et du matériel de travail (par exemple les uniformes de travail, les équipements de protection, les outils, etc.)

La pandémie fait aussi peser de nouvelles menaces sur la santé et sécurité des travailleurs-euses de l'assainissement.

"Alors que les gens ont de plus en plus recours à des masques jetables à usage unique, à des gants en plastique et à des lingettes désinfectantes mono-usage, beaucoup les jettent malheureusement dans les toilettes et dans les caniveaux, bouchant ainsi les canalisations d'égout, ce qui rend le travail de l'assainissement plus lourd et plus dangereux, et ajoute ces nouveaux déchets à la grande quantité de sacs en plastique qui finissent dans les égouts en temps normal et qui sont déjà extrêmement dangereux. C'est d'autant plus inquiétant que des études ayant démontrées que le Covid-19 peut survivre plus longtemps dans la graisse et sur le plastique, deux matières qui s’accumulent dans les réseaux d’assainissement", ajoute Didier.

Un appel et un message clairs de la part des autorités à la population pour qu'elle se débarrasse correctement de ses masques, gants et lingettes jetables seraient très utiles. Il recommande également de s'abstenir d'utiliser des nettoyeurs hautes pressions sur les sols des réseaux d’égouts et dans les installations d’épuration et même pour le nettoyage des espaces publics car ils mettent les particules déposées au sol - qui peuvent porter des virus - en suspension dans l'air, créant des aérosols dangereux pour les agents de nettoyage de l’espace public, souvent mal protégés, et pour les riverains.

Photo: CGT SP, France

Dans le contexte actuel, la fédération CGT Service Public exige du le gouvernement français qu’il prenne des mesures adéquates pour protéger efficacement la sécurité et la santé des travailleurs-euses et des usagers, en appliquant des mesures spécifiques et adaptées aux travailleurs de l'assainissement, dont les tâches sont particulièrement difficiles.

Elle demande notamment :

  • Une fourniture suffisante d'EPI (masques FFP3 ainsi qu'uniformes de protection corporelle intégrale avec systèmes de ventilation individuelle indépendants);

  • Une rotation plus fréquente des équipes, le syndicat considérant que cette période coïncide avec celle de l'exposition des travailleurs au virus;

  • Un repos accru et suffisant pour compenser le stress et les contraintes supplémentaires liés à une utilisation des EPI très lourds;

A ces demandes induites par l’urgence Covid-19 s’ajoutent des revendications préexistantes notamment :

  • Que de véritables études épidémiologiques soient réalisées sur l’air respiré par les travailleurs-euses dans les atmosphères confinées des réseaux d’assainissement et saturées par des « cocktails » de gaz et d’autres polluants*2

  • L’arrêt de la suppression des régimes spécifiques de retraite, notamment celui de l’insalubrité pour les égoutiers et son extension à tous les travailleurs des réseaux d’assainissement, qu’ils soient du public ou du privé et sous la seule condition d’avoir travaillé dix années au sein de ces réseaux.

"La pandémie a également une forte empreinte écologique" rappel Dumont. "D’une part les services de recyclage des déchets étant désormais interrompus pour des raisons de sécurité, la seule façon de se débarrasser en toute sécurité de tous les déchets y compris des masques et gants de protections portés par les populations, est de les incinérer ou de les mettre en décharge. La capacité des incinérateurs étant rapidement remplie, la mise en décharge semble être l'option la plus probable pour faire face à l'afflux de déchets qui doit être traité rapidement."

D’autre part, le recyclage habituel des résidus issus de l’épuration des eaux d’égout, tels que les boues, normalement recyclées principalement à travers la valorisation agricole, ne serait possible qu’avec des boues ayant subie une hygiénisation en cette période de pandémie, soit seulement pour 70% des boues récupérées alors que le reste doit être desséché et incinéré. D’autres urgences collatérales causée par la pandémie qui doivent être traitée de toute urgence.

Le Covid-19 démontre et amplifie les risques d’expositions que prennent les travailleurs-euses de l’assainissement des eaux usées, pour la satisfaction des besoins et l’avenir des populations et pour la sauvegarde de l’environnement, bref, pour la santé publique et pour notre planète.

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