Réponse des syndicats mondiaux à la Déclaration politique de la CSW64

En tant que mouvement syndical mondial représentant plus de 80 millions de travailleuses de tous les secteurs et de toutes les chaînes d'approvisionnement dans toutes les régions du monde, nous nous sentons obligées d'exprimer notre profonde déception face à la Déclaration politique faible et peu inspirée résultant de la 64e session de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies, qui a été remplacée par une réunion de procédure d'une journée.

Cette déclaration politique ne livre pas le message d'espoir, d'encouragement et d'engagement attendu et mérité par les femmes du monde entier. C'est une année critique : un anniversaire pour réaffirmer l'engagement envers les objectifs de la Déclaration et du Programme d'action de grande envergure adoptés lors de la 4e Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes à Beijing il y a 25 ans.

Le Programme d'action de Beijing est un document novateur et ambitieux qui identifie certains des principaux obstacles structurels à la réalisation des droits fondamentaux des femmes. Il mettait en évidence 12 "domaines critiques" et définissait 50 objectifs stratégiques qui demandent aux gouvernements, aux institutions financières internationales, au secteur privé, aux gouvernements donateurs, à la société civile et aux syndicats de prendre des mesures concrètes pour réaliser les droits fondamentaux des femmes, en particulier ceux des plus marginalisées, y compris les femmes de couleur.

La déclaration politique adoptée par les gouvernements lors de la 64e session réduite de la Commission de la condition de la femme (CSW64) aurait dû proposer une évaluation claire de la mise en œuvre et un engagement ambitieux et tourné vers l'avenir pour intensifier l'action.

Elle aurait dû reconnaître les menaces globales actuelles visant la paix et la démocratie, l'environnement, les droits humains, les droits des travailleurs et les droits des femmes.

Elle aurait dû proposer une vision progressiste et féministe pour contrer ces menaces et donner un nouvel élan à notre avancée collective mondiale vers l'égalité des genres et la justice sociale.

La déclaration politique de la CSW64 n'a rien fait de tout cela.

Au contraire, elle est d'une faiblesse abyssale et ne propose aucune vision pour accélérer la mise en œuvre du programme d'action de Beijing. Le texte édulcoré offre aux États membres une flexibilité considérable pour ignorer leurs obligations. Par exemple, les termes qui appellent à la mise en œuvre "complète, efficace et accélérée" du programme d'action de Beijing sont affaiblis par des suggestions selon lesquelles les États "envisagent de ratifier la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), la convention la plus complète et la plus juridiquement contraignante sur les droits humains des femmes, ou d'y adhérer".

Bien que la déclaration reconnaisse que "les progrès n'ont pas été assez rapides ou profonds, que dans certains domaines, les progrès ont été inégaux, que des lacunes importantes subsistent et que des obstacles, notamment des barrières structurelles, des pratiques discriminatoires et la féminisation de la pauvreté persistent", le texte reste muet sur l'échec des modèles économiques dominants et l'austérité budgétaire, qui sont des facteurs supplémentaires causant l'absence de progrès. Eléments pourtant cités par le Secrétaire général des Nations Unies dans son rapport à la Commission comme ayant "exacerbé les inégalités et n'ayant pas permis de générer du travail décent et continuent de saper l'efficacité des actions entreprises par les États".

En fait, la déclaration renforce les modèles économiques et les politiques d'austérité et de privatisation qui ont échoué en appelant à des partenariats public-privé (PPP) pour respecter les engagements pris en faveur de l'égalité des genres et de l'autonomisation des femmes et des filles. Pourtant, selon le rapporteur spécial des Nations Unies sur l'extrême pauvreté et les droits humains, les PPP et les politiques d'austérité ont eu pour effet "d'éliminer systématiquement les protections des droits humains et de marginaliser davantage les personnes vivant dans la pauvreté", et ont accru la part des soins non rémunérés aux personnes. Les États ont la responsabilité de fournir à toutes et tous des services publics de qualité et adaptés aux besoins des femmes, ce qui est essentiel pour la pleine jouissance de leurs droits fondamentaux.

La déclaration comporte un engagement clair en faveur du travail décent, de la promotion de l'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale et du soutien à la transition du travail informel au travail formel dans tous les secteurs. Toutefois, le texte aurait pu être renforcé en adoptant un langage cohérent avec l'Objectif de Développement Durable (ODD) 8 - plus précisément la cible 8.5, qui stipule D’ici à 2030, parvenir au plein emploi productif et garantir à toutes les femmes et à tous les hommes, y compris les jeunes et les personnes handicapées, un travail décent et un salaire égal pour un travail de valeur égale.

Il est particulièrement décevant de constater l’échec à reconnaitre le rôle central du travail décent dans l'indépendance et l'autonomie économiques des femmes et la nécessité d’une transformation profonde pour faire progresser le leadership des femmes et défendre les droits des travailleuses.

La Déclaration ne fait pas référence aux principales conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) (C87, C98, C29 - et son protocole P29 – C105, C100, C111, C138 and C182) ou d'autres conventions essentielles de l'OIT sur l'égalité, notamment les conventions C156, C183, C189 et C190, qui jouent un rôle central dans le respect, la protection et la promotion des droits des femmes au travail et des droits au travail. Ce sont les seuls instruments internationaux contraignants élaborés dans le cadre du processus unique de l'OIT qu'est le dialogue social tripartite, auquel les gouvernements et les représentants des employeurs et des travailleurs participent en tant que partenaires égaux. Comme nous l'avons vu avec la récente adoption de la Convention 190 de l'OIT sur l'élimination de la violence et du harcèlement, le processus tripartite peut permettre d'obtenir un large consensus et de réaliser d'importantes avancées en matière de droits. La C190 est le premier traité international à établir le droit à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement et renforce la nécessité d'établir des mesures pour lutter contre la violence et le harcèlement fondés sur le sexe. La convention reconnaît aussi et appelle une réponse à la violence domestique lorsqu'elle a un impact sur le monde du travail. Dans le contexte du recul des droits des femmes, il s'agit là d'un accomplissement qui mérite d'être célébré dans la déclaration politique de Beijing+25.

Global Unions campaigning for the Convention on the Elimination of Violence and Harassment in the World of Work (C190)

Les syndicats appuient la référence de la Déclaration à la reconnaissance, la réduction et la redistribution des tâches non rémunérées et du travail domestique. Toutefois, des mesures devraient également être prises pour reconnaître la valeur du travail de soins non rémunéré, et non pas seulement pour le réduire et le redistribuer. Un appel fort à l'investissement public dans des services et des emplois publics de qualité dans le domaine des soins devrait accompagner les références au rôle de l'État et des services et infrastructures publics de qualité dans la réduction et la redistribution du travail de soins non rémunéré, et à la reconnaissance de la nécessité de promouvoir l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée sans réduction de la main-d'œuvre et des protections sociales.

La Déclaration indique que "de nouveaux défis sont apparus", mais ne nomme aucun de ces défis. En ce moment, la montée de l'autoritarisme et des extrémismes dans le monde entier s'accompagne régulièrement d'attaques contre les droits des femmes à l'autonomie corporelle. Des entreprises plus puissantes que jamais continuent à générer des niveaux obscènes de concentration des richesses tout en réduisant les salaires réels et les conditions de travail des femmes. De nouvelles formes d'organisation du travail, telles que les plates-formes numériques associé à la déréglementation de la relation de travail, rendent le travail plus précaire et plus informel. Le développement non réglementé des nouvelles technologies risque de perpétuer et d'exacerber les discriminations et les inégalités existantes. La menace d'extinction massive que représente la crise climatique touche déjà en premier lieu et le plus durement les femmes les plus marginalisées.

Il n'est pas déraisonnable de s'attendre à ce que les gouvernements produisent une déclaration à l'occasion du 25e anniversaire de Beijing qui, au moins, ferait un geste en faveur des changements importants nécessaires pour faire progresser les droits humains des femmes.

Alors que le Programme d'action de Beijing comprenait un objectif stratégique spécifique sur la réduction des dépenses militaires et la réorientation de ces fonds vers la mise à disposition de services publics nécessaires aux droits des femmes et demandait aux gouvernements de revoir la fiscalité, la Déclaration actuelle est muette quant aux moyens spécifiques de générer les recettes nécessaires pour répondre aux besoins de développement. L'augmentation du recours aux paradis fiscaux, par exemple, qui cachent jusqu'à 30 000 milliards de dollars US et privent les gens de 500 milliards de dollars US de dépenses publiques annuelles, est un obstacle évident aux droits humains des femmes qui aurait dû être abordé dans la Déclaration. Il aurait également fallu reconnaître la nécessité d'un taux minimum mondial d'imposition des sociétés, d'une méthode permettant d'imposer les multinationales en tant qu'entité unique et de garantir une répartition équitable de ces impôts, et de créer un organe fiscal des Nations Unies.

Le Programme d’action de Beijing reconnaissait les impacts sexospécifiques de la crise de la dette et appelait de manière radicale à la "remise de la dette". La Déclaration ignore la crise de la dette imminente causée par la finance spéculative privée, et ne parle pas de la nécessité de convenir d'urgence d'un mécanisme de sauvetage de la dette qui empêche les fonds vautours de prendre les pays en otage et placerait une responsabilité raisonnable sur les créanciers.

Le Programme d’action de Beijing identifiait l'environnement comme l'un des domaines critiques de préoccupation et détaillait l'impact des problèmes écologiques, y compris le réchauffement climatique, sur les droits humains des femmes. En 1995, on précisait que: «la cause principale de la détérioration continue de l'environnement mondial est le modèle non durable de consommation et de production, en particulier dans les pays industrialisés, qui est un sujet de grave préoccupation, aggravant la pauvreté et les déséquilibres". Dans un contraste saisissant, la Déclaration actuelle ne mentionne le changement climatique que dans un paragraphe qui suggère que les actions futures des États se limiteront à "intégrer une perspective de genre" dans les politiques existantes en matière de climat et de gestion des crises.

Il ne fait aucun doute que les États ont manqué une nouvelle occasion de s'engager dans une transition juste et équitable de l'économie, nécessaire de toute urgence pour éviter un chaos climatique catastrophique. La déclaration aurait dû décrire les mesures qui pourraient être prises à l'échelle mondiale pour garantir la mise en œuvre d'un nouvel accord vert (green deal) de manière à accélérer l'égalité.

Le dernier paragraphe de la Déclaration recommande aux gouvernements de "mettre en œuvre pleinement, efficacement et rapidement la déclaration et le programme d'action de Beijing". S'il est authentique, cet engagement renouvelé exige des réformes immédiates aux niveaux international et national qui ne se sont pas concrétisées au cours des 25 dernières années.

Déclaration de: La Confédération internationale des syndicats (CSI), l'Internationale de l'Education (IE), l'Internationale des services publics (ISP), UNI Global Union, la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF), la Fédération internationale des journalistes (FIJ), la Fédération internationale des travailleuses domestiques (FITD)