Rencontre avec la représentation permanente de la France auprès des Nations Unis

Pascale Lofredi, CDFT Fédération Finance CFDT, France raconte l'entretien avec la représentation permanente de la France auprès des Nations Unis, mardi dernier.

Nous avons été reçue environ une heure, par Mme Dime-Labille Conseillère juridique, Cheffe du service Affaires des droits de l’Homme, humanitaires et d’influence, assistée de Mme Julie WAGNER experte en droits de l’Homme et Humanitaire.

Après les présentations d’usage, j’ai souhaité commencer par évoquer avec Mme Dime-Labille l’actualité française, qui est enthousiasmante en matière de droits sexuels et reproductifs : la mention de l’avortement dans notre loi fondamentale.

Le parlement réuni en Congrès a en effet voté la modification de l’article 34 de la Constitution pour y inscrire que "La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse". 

La cérémonie de scellement qui s’est tenue le 8 mars n’avait pas seulement une portée symbolique, comme l’a souligné Mme Dime-Labille, il y a quelque chose de nouveau et de protecteur : il ne sera à présent plus possible de supprimer, par la voie législative ordinaire, la liberté de choix des femmes de recourir à l’avortement.

Certes, la Constitution est toujours modifiable, puisque cela a été fait le 8 mars, mais les conditions sont exigeantes. Elles requièrent un large consensus parmi les parlementaires ! Ainsi alors que lois sont créées et modifiées fréquemment, cette modification de la Constitution est seulement la 25ème depuis 1958.   

La vigilance est toujours de mise car bien entendu les risques existent de la remise en cause des acquis féministes, celui-ci en particulier. Nous avons malheureusement pu déjà le constater en Europe et ailleurs dans le monde…

La vigilance est toujours de mise, y compris en France où la dépénalisation de l’IVG aura bientôt 50 ans, sa prise en charge financière, 20 ans et où un délit d’entrave a même été créé !

Un sinistre basculement du côté de l’extrême droite peut malheureusement toujours survenir, comme cela est arrivé ailleurs, même si nous ferons tout pour l’empêcher …. !  

Le président Emmanuel Macron a annoncé vouloir inscrire « cette liberté garantie de recourir à l’interruption volontaire de grossesse dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». Cette avancée française est en effet un espoir pour un grand nombre de femmes dans le monde dont les droits dans ce domaine sont inexistants ou  régressent ...

J’ai indiqué à Mme Dime-Labille que la CFDT et PSI espèrent que tout sera mis en œuvre, par l’ensemble des parties prenantes, pour que cet espoir rayonne le plus intensément qu’il est possible.

J’ai ensuite souhaité lui exposer les principales revendications de mon organisation syndicales, la CFDT, relativement aux métiers du soin. Ces métiers sont tellement cruciaux pour les femmes ! A la fois parce qu’elles peuvent y recourir pour leurs proches et s’employer à d’autres tâches rémunérées mais aussi parce qu’elles les occupent majoritairement, tant l’assignation au féminin du « care «  est ancré dans les stéréotypes de genre. 

Video

Pascale Lofredi, CDFT Fédération Finance CFDT, France raconte l'entretien avec la représentation permanente de la France auprès des Nations Unis, mardi 12 mars 2024.

Pascale Lofredi, CFDT [Interview]

Pour ces métiers du soin qui sont insuffisants développés, trop onéreux, ce qui conduit souvent les femmes à faire des arbitrages économiques au dépends du développement de leur carrière professionnelle, voire de leur présence même sur le marché du travail, en les plaçant durablement dans une situation de précarité économique et de dépendance aux aides sociales ou à leur conjoint, la CFDT demande  :

  • Bien sûr, la revalorisation de l’ensemble des métiers du soin, dans le secteur public et privé, en forte désaffection. C’est un impératif pour maintenir une offre suffisante en quantité et en qualité, offre qui doit demeurer abordable pour permettre l’émancipation de toutes les femmes.

  • Dès lors que les contraintes d’exercice de ces métiers sont fortes, la CFDT plaide en outre pour une meilleure reconnaissance de l’usure professionnelle et de la pénibilité au travers des postures pénibles, manutentions manuelles de charges, vibrations mécaniques et exposition aux agents chimiques dangereux. Ces 4 facteurs sont responsables de l’écrasante majorité des maladies professionnelles. Leur reconnaissance pour l’acquisition de droits renforcés en matière de formation, de reconversion, de droits aux temps partiels et de retraite permettrait notamment d’améliorer l’attractivité défaillantes des métiers d’aides à domicile et d’aides-soignantes ;

  • Enfin la CFDT met l’accent sur la mise en place, en France, d’un véritable service publique de la petite enfance. Cette revendication a notamment été portée, à l’occasion de la grève féministe du 8 mars, car il manque plus d’un million d’emplois dans les métiers du soin et du lien et plus de 200 000 places dans la petite enfance. Elle fait suite à un rapport de l’IGAS relatif à l’accueil dans les crèches et la prévention de la maltraitance ainsi qu’à plusieurs publications exposant des dysfonctionnement très préoccupants qui placent structurellement les professionnelles dans de terribles conflits de valeurs pour accomplir de façon humaine leurs tâches de soin tout en atteignant les objectifs économiques ou financiers fixés par leur employeur.

Sans jeter le discrédit sur l’ensemble du secteur, comme dans la prise en charge de la perte d’autonomie dues à l’âge, certaines situations sont intolérables ! Elles peuvent dissuader les femmes d’utiliser les services marchands de soin et ainsi les inciter à renoncer à se concentrer sur leurs projets professionnels. 

Nous attendons donc des pouvoirs publics l’édiction d’exigences de qualité et de sécurité claires en redonnant des normes cohérentes pour le taux d’encadrement des professionnelles, le niveau de formation, l’organisation et les conditions de travail.

En juillet 2023, les organisations syndicales représentatives, les organisations patronales, les acteurs associatifs du secteur de la petite enfance ont signé un document d’engagements s’accordant sur des revalorisations salariales, à hauteur de 150 euros net par mois, pour un montant global de 600 millions d’euros dans l’ensemble du secteur de la petite enfance avec un soutien financier de l’état, conditionné au respect du socle social sectoriel signé. Ces mesures doivent se mettre en place immédiatement, en cohérence avec l’ensemble des signatures engagées. Les difficultés de recrutement dans ce secteur, le nécessaire développement du service public de la petite enfance en font un enjeu prioritaire. La CFDT considère les atermoiements à l’œuvre pour la mise en place de ce qui a été décidé incompréhensibles.

Grace à une politique familiale ambitieuse, la France a pu longtemps maintenir une situation démographique moins critique qu’ailleurs, nous voyons à présent que la situation se dégrade. Il est donc temps d’aider les femmes à tout tenir de front, engagement professionnel et familial sans les écraser sous le poids d’une charge mentale impossible à gérer.

Mme Dime-Labille n’a bien entendu pris aucun engagement s’agissant de ces revendications qui ne sont pas véritablement de son ressort, ni au plan technique, ni quant à son domaine habituel de décision et d’influence, néanmoins elle a apprécié cette approche féministe holistique. Elle pourra peut-être rapporter cette appréciation à la Ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les Discriminations, Mme Aurore Berger, présente à la 68eme session annuelle de la commission de la condition de la femme de l’ONU qui pourrait, sait-on jamais, s’en emparer…? 

La suite de l’entretien, conduite par Gloria et Veronica, s’est concentrée sur la négociation en cours et les éléments de langage du texte de conclusion de la commission de l’ONU.

PSI a pu soumettre ses demandes au négociateur français.

Celle-ci permettront notamment de promouvoir :

  • une reconnaissent de la valeur du travail de soins ainsi que le droit d’accès aux soins ;

  • une rééquilibrage du travail domestique non rémunéré moins pénalisant pour les femmes et les filles ;

  • une redistribution plus équitable de la responsabilité des soins à la fois au sein du ménage et entre les ménages et l’état, par la fourniture d’une protection sociale suffisante, d’infrastructures publiques durable et de services publics de soins pour les enfants, le personnes âgées, les personnes handicapées et atteintes de maladies chroniques ;

  • une rémunération décente pour le secteur du soin et une protection sociale en contrepartie du travail de soin non rémunéré ;

  • la garantie d’une représentation des travailleurs du soin, de leur capacité à s’organiser et à négocier collectivement ;

Plus précisément, PSI souhaite insister sur l’impossibilité à parler de la réduction de la pauvreté des femmes sans aborder l'organisation sociale des soins dans les sociétés : Pour PSI, il est essentiel d'accroître et de renforcer le rôle de l'État dans le financement des soins, en veillant à ce qu'ils soient fournis par le secteur public et à ce qu'ils soient organisés et réglementés dans l'intérêt public, y compris par une réglementation du secteur privé. 

PSI demande la fourniture de services sociaux publics, accessibles, abordables et de qualité pour la garde d'enfants, les structures d'accueil pour les enfants et les autres personnes à charge.

Elle souhaite exhorter les Etats membres à mesurer la valeur des soins non rémunérés et du travail domestique afin de déterminer leur contribution à l'économie nationale ainsi qu’à lutter contre les stéréotypes de genre et les normes sociales négatives pour créer un environnement moins pénalisant pour les femmes.

Mme Dime-Labille a reçu le détail de ces demandes, les a entendues et elles ont été transmises. Elle a néanmoins précisé que les négociateurs étaient nombreux autour de la table et que les négociations étaient déjà très avancées. Rien ne pouvait donc être garanti s’agissant de leur prise en compte, notamment du fait des procédures en vigueur pour la soumission de nouveaux éléments. 

Au total, c’est un entretien qui s’est révélé très intéressant, tenu dans un climat détendu et convivial. Nous en entendons des résultats qui, nous l’espérons, se révèleront fructueux !

Video

Pascale Lofredi, CDFT Fédération Finance CFDT, France raconte l'entretien avec la représentation permanente de la France auprès des Nations Unis, mardi 12 mars 2024.

Pascale Lofredi [Full FR]