Quito : entre reconnaissance du rôle du personnel chargé de la gestion des déchets urbains et fragilité des droits du travail

Le District métropolitain de Quito (DMQ) compte environ 2,6 millions d’habitants, qui génèrent chaque jour près de 2000 tonnes de déchets. Depuis 2010, il existe un système de gestion intégrée des déchets solides, Gestión Integral de Residuos Sólidos (GIRS), qui est actuellement pris en charge par des entreprises publiques en tenant compte, entre autres, des « recycleurs », dénommés « gestionnaires de l’environnement ».

Laura Maffei*

Malgré la valorisation du rôle des recycleurs et de celui des employé(e)s municipaux des entreprises publiques, des difficultés se présentent tout de même, notamment la perte éventuelle d’emplois due à la mécanisation, et la fragilisation des conventions collectives.

Les organisations syndicales du secteur dénoncent par ailleurs une dégradation du matériel, depuis plusieurs années, ainsi qu’un possible détournement de fonds et des tentatives de démantèlement des entreprises publiques de propreté. C’est pourquoi les syndicats, en plus de se battre pour l’amélioration du travail, inscrivent dans leurs programmes d’action la promotion de la qualité du service public et la garantie de son financement, deux éléments indispensables à la gestion publique de ce service.

La gestion intégrée des déchets à Quito

En Équateur, la politique de gestion intégrée des déchets solides (GIRS) a été définie lors de la réforme de 2008 de la Constitution nationale. C’est à ce titre que le District métropolitain de Quito dispose depuis 2010 de sa propre réglementation concernant la GIRS.

Plus de 95% de la population bénéficie d’un service de propreté et de ramassage des déchets urbains, pris en charge par l’entreprise publique EMASEO, qui effectue les tâches générales liées à la propreté publique, le ramassage sélectif des déchets dans les différentes zones du DMQ, et le transport des ordures vers les « centres de gestion de l’environnement » (tri, stockage et commercialisation) et les « stations de transfert ».

Pour sa part, l’entreprise publique de gestion intégrée des déchets, Empresa Pública de Gestión Integral de Residuos (EMGIRS), assure le transport des déchets non recyclables depuis les stations de transfert jusqu’à leur destination finale et veille à l’enfouissement des déchets sur le site « El Inga ». Les deux entreprises publiques sont actuellement en cours de fusion.

D’après les estimations, entre 10 et 20% des déchets produits par le DMQ sont recyclables. Selon les différentes sources, cela représente une importante valeur économique, qui a permis, plus particulièrement, d’améliorer de manière significative les revenus des « minadores », ces « mineurs » qui récupèrent les déchets dans la rue.

Reconnaître les travailleurs/euses comme des acteurs-clés du service des déchets urbains

Un des aspects les plus importants de la politique de la GIRS de Quito est la reconnaissance et la valorisation des personnes qui travaillent dans ce secteur, qu’il s’agisse de travailleurs/euses formels ou informels. La réglementation fait spécifiquement référence à eux en les qualifiant « d’acteurs indispensables au bon fonctionnement du système » et reconnaît les anciens « mineurs » comme des « gestionnaires de l’environnement ». Bien que la municipalité ne régularise pas leur embauche, elle leur reconnaît certains droits du travail et la couverture de sécurité sociale.

Environ 1700 employé(e)s municipaux dispensent ce service (1339 chez EMASEO et 287 chez EMGIRS) et quelque 600 gestionnaires de l’environnement sont répartis entre le ramassage sélectif, les centres de gestion de l’environnement et les stations de transfert.

Il ne faut pas perdre de vue que, quel que soit le mode de calcul, plus de mille « mineurs » travaillent dans les rues de Quito sans reconnaissance de la municipalité. Ces travailleurs/euses rendent un service important à la ville, mais ils se trouvent en situation de grande fragilité

Droits du travail dans le secteur des déchets : entre reconnaissance et fragilité

D’un côté, le rôle des travailleurs/euses du secteur des déchets est reconnu et valorisé, en général dans le respect des conditions de santé et de sécurité – en grande partie grâce au contrôle permanent réalisé par le syndicat – mais, d’un autre côté, on assiste à une préoccupante fragilité du travail, en particulier depuis la suppression de la convention collective concernant l’administration publique en Équateur. C’est ce que dénoncent les organisations équatoriennes et internationales, notamment l’ISP, et donne même lieu à des observations des organes de contrôle des normes de l’OIT.

Il est important de tenir compte du poids des travailleurs/euses du secteur des déchets à l’échelle municipale (28%) et de leur niveau élevé de syndicalisation, qui dépasse les 70%. Il convient également de noter qu’environ 60% des gestionnaires de l’environnement du DMQ sont membres du syndicat, en plus du soutien permanent et de la coordination avec le syndicat, ce qui lui confère une forte représentativité et une grande légitimité pour négocier avec l’administration.

La lutte syndicale : intégration des travailleurs/euses informels, défense des emplois et pérennité du service

Dans ce contexte, la fédération des employé(e)s des municipalités et des provinces, la Federación de Trabajadores Municipales y Provinciales (FETMYP), affiliée à l’ISP, rencontre de nombreuses difficultés sectorielles, et non des moindres, qui dépassent largement la lutte historique pour l’amélioration des conditions de travail des employé(e)s.

Ces difficultés comptent par exemple l’intégration des travailleurs/euses de l’économie informelle. Au-delà de l’affiliation des gestionnaires de l’environnement, le syndicat réalise un travail permanent d’accompagnement et de conseil afin de renforcer ses capacités d’organisation. Il faut garder à l’esprit qu’un nombre phénoménal de travailleurs/euses parcourent les rues pour récupérer des déchets, sans bénéficier d’aucune forme de reconnaissance ni de protection relative aux droits du travail.

La FETMYP soutient et œuvre au succès de la GIRS depuis le début, consciente qu’il est important d’améliorer les conditions de travail et de sécurité des employé(e)s de ce secteur et d’instaurer un bon système de gestion des déchets pour contribuer à la santé de l’environnement et de la population en général. Un facteur suscite toutefois une grande préoccupation : la mécanisation croissante du service de ramassage des ordures. D’une part, la municipalité met l’accent sur l’amélioration de l’efficacité et la réduction des risques professionnels que cela peut impliquer mais, d’autre part, le syndicat met en garde contre la perte éventuelle d’emplois si aucune stratégie n’est mise en place pour assurer la transition vers d’autres emplois plus qualifiés dans ce service.

Comme le déplorent les syndicats, une contradiction est à souligner dans cette apparente préoccupation vis-à-vis de l’efficacité du service de propreté, alors même que nous constatons une baisse de qualité de ce service en raison du manque de ressources et d’intrants : dégradation des machines et des outils, obsolescence du parc automobile – ce que dénoncent le syndicat et l’entreprise EMASEO elle-même.

Une entrevue a eu lieu avec Wilson Álvarez Bedón, le Président de la fédération des employé(e)s des municipalités et des provinces, la Federación de Trabajadores Municipales y Provinciales (FETMYP), au sujet de la crise du ramassage des ordures à Quito en 2017.


Le syndicat est tout à fait conscient de la nécessité de défendre la qualité du service et de garantir son financement pour pouvoir en soutenir la gestion publique. En ce sens, il a joué un rôle primordial pour maintenir le paiement du service dans la facture d’électricité, ce que la loi avait supprimé. D’après les déclarations d’EMASEO, cela aurait provoqué la perte de 50% de la capacité de recouvrement de l’entreprise.

Des contradictions apparaissent également entre la reconnaissance de la valeur des travailleurs/euses et la préoccupation affichée à l’égard de leurs conditions de travail, comme par exemple une plus forte vulnérabilité depuis la suppression de la convention collective, ou l’exclusion des représentant(e)s des travailleurs/euses du Registre des entreprises publiques, ce qui empêche, entre autres, de contrôler l’utilisation et le détournement de fonds signalés par le syndicat.

Bien qu’un grand nombre de ces questions résultent des changements de la réglementation nationale, le syndicat voit dans ces actions une volonté de démanteler les entreprises publiques, ce qui pourrait constituer une première étape dangereuse pour justifier la privatisation à l’avenir. C’est pourquoi le syndicat travaille de façon permanente sur la communication auprès de la population locale pour expliquer et sensibiliser les citoyen(ne)s à la situation afin d’obtenir le soutien et l’engagement nécessaire à la défense du service public.


*Article rédigé par Laura Maffei, conseillère de l’ISP, suite à son entretien avec Wilson Álvarez Bedón, Président de la fédération des employé(e)s des municipalités et des provinces, la Federación de Trabajadores Municipales y Provinciales (FETMYP). Cet article fait partie d’une série de cas répertoriés dans le secteur des services municipaux des déchets de l’ISP, parallèlement à la première réunion des syndicats municipaux des services de gestion des déchets urbains d’Amérique latine de l’ISP, tenue à Bogotá, Colombie, les 28-29 juillet 2017.