Les syndicats français en lutte contre le projet de démantèlement d’EDF

Dans une importante mobilisation nationale qui a ressemblé près de 30 000 grévistes et plusieurs milliers de personnes dans les principales villes de France, les travailleuses et travailleurs de l’énergie, principalement d’EDF, et leurs organisations représentatives réunies en intersyndicale ont dit un « non » clair et net à la scission du Groupe et au démantèlement du service public national de l’électricité en France.

Le Gouvernement Macron et la Direction d’EDF se penchent en ce moment même sur un projet d’ampleur visant à « restructurer » ultérieurement le Groupe EDF : nom de code « Hercule ». Le projet – dont le contenu intégral n’a pas encore été rendu public – vise substantiellement à séparer les opérations plus rentables du système public de l’électricité nationale entre la production nucléaire du lucratif réseau de distribution (ENEDIS), et les filiales d'énergies renouvelables, secteur en plein essor. Cette manœuvre fait déjà pressentir une collectivisation des pertes ainsi que des risques financiers et industriels pour une privatisation des bénéfices.

EDF a déjà été fragilisée par un passage en SA pour 20% du capital en 2004, par la fixation d’un prix de vente de l’énergie règlementé désavantageux et par la reprise « obligée » d’une partie d’Areva et de sa dette. Avec son plan de déstructuration et de scission du Groupe, le projet Hercule dénature et va à l’encontre de la mission même d’EDF, dont la vocation est d’être, à son origine d’après-guerre, une entreprise de service public.

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PSI was on the streets in France, joining our affiliates to protest against the proposed break up of the State-controlled Energy company EDF. An intergreated energy sector, held in public hands and run in the public interest, is the key tool for transitioning to a greener economy!

Non au Projet Hercule - Non au démantèlement des services publics !

Manifestation des travailleurs à Lyon le 19 septembre 2019

Une délégation de l’ISP était présente à la manifestation de Lyon pour apporter solidarité et soutien à l’action d’autres organisations syndicales des pays où EDF opère (Royaume Uni, Belgique, Italie, Brésil etc.) et relayer le message de la Secrétaire générale Rosa Pavanelli aux travailleuses et travailleurs :

« L’ISP est à vos côtés en tant que salariés du service public national de l’électricité française et aux côtés de vos organisations syndicales dans cette journée de mobilisation pour défendre le droit des citoyens, usagers, salariés, retraités ou chômeurs à un service public national de l’électricité dans l’intérêt commun de tous, non pas dans l’intérêt privé de quelques-uns ».

Alors que les partisans de la privatisation des services publics et de la libéralisation du marché de l’énergie en vantent les hypothétiques avantages, l’expérience et l’analyse internationale de l’ISP, sur plus que 20 ans de politiques de privatisation et libéralisation dans le monde, prouve que ces promesses ne se matérialisent pas et que ces politiques ne sont qu’un échec, et plus que jamais dans le contexte de crise sociale et climatique.

Un rapport publié aujourd’hui par l’Unité de recherche des services publics (PSIRU) de l’Université de Greenwich[1] démontre que les vraies conséquences de la scission des infrastructures électriques publiques entre la production, le transport, la distribution et la commercialisation et la mise en compétition (base du projet Hercule) sont - entre autres - les suivantes :

  • Une augmentation des prix et des coûts de transaction tout au long de la chaîne menant à la précarisation énergétique des consommateurs.

  • Une sous-évaluation systématique du prix de vente des infrastructures stratégiques telles que réseaux et barrages payés par le contribuable durant de longues années

  • La concentration en monopoles privés permettant de fixer des tarifs élevés pour maximiser les bénéfices.

  • Une détérioration de la qualité du service et un approvisionnement énergétique aléatoire avec coupures de la fourniture ;

  • L’abandon des investissements et services dans les zones moins rentables

  • Une sécurité et un entretien des installations défaillants ;

  • La disparition, la précarisation et la délocalisation de nombreux métiers du secteur de l’énergie, traditionnellement pourvoyeur d’emplois de qualité.

Cette stratégie de fragmentation vise également à affaiblir les syndicats du secteur de l’énergie pour ensuite plus facilement imposer des réformes menaçant les conventions collectives du secteur. Dans un grand nombre de pays, la libéralisation et la privatisation des services publics ont aussi contribué à éloigner les citoyens de l’engagement civique et politique, ainsi qu’à favoriser la montée du populisme et du nationalisme en minant la base de la démocratie.

Travailleur d'EDF qui manifeste contre le projet de démantèlement de la compagnie d’électricité

En avril 2019, un rapport des Nations Unies sur la pauvreté au Royaume-Uni pointait du doigt la privatisation en tant que politique responsable de l’appauvrissement et de la précarité énergétique de la population anglaise. Le Royaume-Uni, qui fut l’un des pionniers de la privatisation du secteur de l’énergie, compte aujourd’hui 1 foyer sur 10 qui vit dans la précarité énergétique, et jusqu’en 2015, les usagers britanniques ont payé une augmentation de 2 milliards de livres à cause de la surenchère des prix. [2]

Depuis 2017, le parti travailliste britannique a inscrit dans son programme l’objectif de renationaliser, changer la règlementation et reconquérir le contrôle sur le réseau énergétique national pour combattre la précarité énergétique. Dans ce programme, le rôle du public est également central pour accompagner une nouvelle stratégie industrielle et la transition écologique, ainsi que pour démocratiser et permettre une participation des citoyens aux décisions stratégiques et au contrôle de l’économie.[3]

De même, en Australie, le Queensland a lancé en 2017 une politique énergétique intégrée visant à atteindre 50% d'énergie renouvelable d'ici 2030 avec la création de CleanCo, un producteur d'énergie renouvelable appartenant à l'État. L’initiative vise à garantir un approvisionnement énergétique stable et abordable et à créer 4 600 emplois de qualité pour les communautés locales qui abandonnent la production thermique au charbon.[4]

La France possède un patrimoine de service publics qui fait sa spécificité et que la plupart des pays du monde lui envient. C’est grâce à un service public national de l’électricité et une infrastructure intégrée soutenus par une politique énergétique nationale que la France a pu se développer et assurer l’accès à l’énergie à tous ses citoyens à un prix identique accessible, partout et à tout moment.

Ce qu’il faut pour EDF maintenant, c’est une stratégie d’investissement et de transformation intelligente et durable qui s’appuie sur ses atouts – son infrastructure intégrée, son savoir-faire et ses métiers, ses hommes et ses femmes et sa vocation de service public essentiel pour tous – et non pas sur sa vente et son démantèlement. Cette stratégie doit faire l’objet d’une réflexion démocratique sur les choix économiques et les politiques stratégiques ainsi que sur le futur énergétique et industriel du pays pour aboutir à un réel service public de l’électricité, sous contrôle public, qui réponde à l’intérêt de tous les citoyens usagers et de tous les travailleurs-ses du secteur.

« Dans un contexte de lutte contre le réchauffement climatique, un service public de l’électricité intégrée est la pierre angulaire d'une transition énergétique réussie et non pas uniquement en France mais aussi pour l’ensemble de l’Europe et du monde. L’ISP se joint aux organisations syndicales françaises et à tous-tes les travailleurs d’EDF pour appeler le Gouvernement français et la direction d’EDF à rejeter le projet Hercule et préserver l’intégrité de l’infrastructure électrique nationale qui est un patrimoine collectif constitué grâce aux investissements publics et financé par le contribuable depuis presque un siècle. Il appartient aux citoyens et doit être protégé, renforcé et amélioré pour les générations futures, non pas fragmenté, fragilisé et vendu pour répondre à des logiques idéologiques et des profits mercantiles à court terme » conclut R. Pavanelli.


[1]Going Public: A Decarbonised, Affordable and Democratic Energy System for Europe”, was commissioned by EPSU and written by Dr Vera Weghmann from the Public Services International Research Unit (PSIRU) at the University of Greenwich

[2] Conseil des droits de l’homme des NU, Visite au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

Rapport du Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme Philip Alston, A/HRC/41/39/Add.1, 23 avril 2019.

[3] The UK Labour Party Manifesto 2017, « For the many, not the few

[4] PSI-UCLG, SDG 11 – Tackling the challenges of global urbanization: flagship local government initiatives to meet the SDGs, Spotlight on Sustainable Development Report 2019