"Les nouveaux colonisateurs sont les multinationales" déclare April Verrett, Présidente de SEIU, à l'AFRECON de l'ISP

April Verrett, Présidente du SEIU, expose les liens qui unissent notre lutte mondiale dans un discours inspirant prononcé lors de l'AFRECON de l'ISP au Ghana.

April Verrett a été accueillie par la musique, les chants et le soutien des délégué.e.s de 82 syndicats de 34 pays africains et arabes, alors qu'elle montait sur le podium.

Son discours puissant s'est appuyé sur son propre passé et sur les liens entre les travailleurs.euses à travers les frontières, soulignant comment les syndicats doivent construire une solidarité mondiale pour lutter contre le pouvoir des entreprises et l'extrême-droite.

Lire l'intégralité du discours ci-dessous.

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SEIU President April Verrett lays out the links which bind our global struggle in an electrifying speech at PSI's Afrecon conference in Ghana.

SEIU President April Verrett's Speech @ AFRECON 2025

Bonjour, Chers ami.e.s,

Je tiens tout d'abord à souligner l'immense honneur qui m'est fait d'être ici - sur le continent africain - et à remercier le peuple ghanéen pour sa chaleur, son hospitalité et son exemple de persévérance et de fierté.

Hier, Son Excellence John Dramani Mahama, le Président du Ghana, a ouvert cette réunion avec des mots qui traduisent la puissance et la promesse de ce moment. Sa participation n'est pas seulement un geste, c'est une déclaration. Elle nous rappelle que la lutte pour la dignité des travailleurs.euses et la démocratie n'est pas accessoire au progrès national ; elle en est le cœur même.

Je tiens également à remercier la Présidente de l'Internationale des Services Publics, Britta Lejon, et son Secrétaire général, Daniel Bertossa, d'avoir organisé cette rencontre et d'avoir toujours su rassembler les syndicalistes de ce continent et du monde entier. Merci à vous, Danny et Britta.

Se trouver ici parmi des dirigeant.e.s et des travailleurs.euses représentant plus de 40 nations africaines est une profonde leçon d'humilité. Chacun.e d'entre vous porte l'histoire de son peuple - la lutte, la résilience et l'espoir qui maintiennent ce mouvement en vie.

Et pour moi, qui me tiens ici, en tant que femme noire, Présidente de l'Union internationale des employés de service et descendante de celles et ceux qui ont été volé.e.s à cette terre il y a des générations, ce moment a un poids sacré.

Avant-hier, je me suis rendue aux châteaux de Cape Coast et je me suis tenue devant la porte du non-retour.

Dans cet espace, j'ai ressenti la douleur de l'histoire dans mes os et dans mon cœur. J'ai pensé aux vies arrachées à cet endroit, aux familles déchirées, au travail qui a permis de construire la richesse du monde - et à la résilience qui refuse de mourir.

Et j'ai pensé à ce que signifie revenir. De se tenir là où mes ancêtres se sont tenu.e.s - non pas enchaîné.e.s, mais déterminé.e.s. Pour boucler la boucle de leur histoire.

C'est la raison pour laquelle je suis ici. C'est pourquoi le SEIU est ici.

Pour honorer leur héritage en poursuivant le combat qu'ils/elles ont commencé - le combat pour la dignité, le combat pour la liberté et le combat pour la justice.

Parce que lorsque vous vous trouvez à ce seuil, vous commencez à comprendre quelque chose de profond :

Les mêmes forces qui ont construit la richesse sur nos souffrances il y a des siècles sont encore en vie aujourd'hui, sous d'autres formes. Elles exploitent les travailleurs.euses. Elles privatisent ce qui appartient au public. Elles exploitent le plus grand nombre pour enrichir quelques-uns.

En ce moment, je suis très claire, très franche : les nouveaux colonisateurs ne sont pas des gouvernements étrangers, mais des sociétés multinationales.

Elles n'envoient pas d'armées, mais des accords.

Elles franchissent les frontières par le biais d'accords commerciaux et de fusions, et non de navires et de soldats.

Elles promettent l'efficacité et l'innovation, mais ce qu'elles livrent, c'est l'inégalité et l'extraction.

Les mêmes milliardaires qui suppriment des emplois à Seattle les délocalisent à Nairobi, ceux qui profitent des soins de santé à Lagos privatisent l'eau ici à Accra.

Ils sont mondiaux. C'est pourquoi nous devons nous aussi être mondiaux. Parce que nos combats sont liés.

Lorsqu'une infirmière en Afrique du Sud réclame un salaire équitable, lorsqu'un enseignant au Kenya réclame des salles de classe sûres, lorsqu'un concierge à Chicago réclame un salaire décent, nous réclamons tous la même chose : le respect.

Et cette demande n'est pas radicale. Cette demande est juste.

Au SEIU, nous avons appris que nous ne pouvons pas obtenir justice pour certain.e.s travailleurs.euses alors que d'autres sont laissé.e.s pour compte. C'est pourquoi nous avons adopté une résolution - Dignité pour tous.tes les travailleurs.euses. Pas seulement pour les travailleurs.euses américain.e.s. Pas seulement pour les membres des syndicats. Mais pour chaque personne dont le travail fait tourner le monde.

Car tant que tous.tes les travailleurs.euses ne seront pas libres, aucun.e d'entre nous ne le sera.

Mais mes amis, nous vivons une époque périlleuse.

Partout dans le monde, le pouvoir est concentré dans un nombre de plus en plus restreint de mains.

Dans de trop nombreux pays, les voix des travailleurs.euses sont écartées de la vie publique.

Les syndicats sont contraints par de nouvelles lois. Les journalistes sont harcelé.e.s pour avoir dit la vérité.

Les fonctionnaires - nos enseignant.e.s, nos infirmièr.e.s, nos travailleurs.euses sociaux.ales - sont puni.e.s pour avoir osé se syndiquer.

Au lieu d'être aux côtés des travailleurs.euses, les gouvernements se plient à l'influence des élites mondiales et des investisseurs étrangers.

Les institutions publiques qui protégeaient autrefois les citoyen.ne.s sont aujourd'hui remodelées pour servir des intérêts privés.

Les budgets sont établis non pas par celles et ceux qui fournissent les services publics, mais par celles et ceux qui en tirent profit.

D'un continent à l'autre, nous observons le même schéma : l'érosion de la démocratie, non pas par les chars et la violence, mais par des accords, des politiques et des décisions discrètes prises à huis clos.

C'est le nouveau visage du contrôle : le pouvoir exercé sans obligation de rendre des comptes et la richesse sans responsabilité.

Les entreprises jouent également un rôle. Les sociétés de conseil internationales conseillent les gouvernements sur la manière de réduire les coûts - ce qui semble toujours signifier réduire les effectifs.

Les sociétés de capital-investissement rachètent des hôpitaux et des établissements, promettant l'efficience, mais procédant à des licenciements, à des baisses de salaires et à des hausses de prix.

Les services publics - l'épine dorsale de la dignité d'une nation - sont vendus morceau par morceau.

C'est ainsi que fonctionne le fascisme moderne : non seulement par la violence et la peur, mais aussi par la corruption discrète du bien public.

Un hôpital à Monrovia devient un centre de profit pour des investisseurs à Pékin. Un système d'adduction d'eau en Ouganda devient un actif commercial négocié à Wall Street. Un projet de logement à Los Angeles est dépouillé de ses pièces détachées tandis que des familles dorment dans la rue.

Rien de tout cela n'est le fruit du hasard. Il s'agit du même schéma, reproduit au-delà des frontières - un système économique qui valorise le profit au détriment des personnes, et le pouvoir au détriment de la participation.

Tel est le constat moral de notre époque.

Allons-nous laisser une poignée de milliardaires et d'hommes forts décider qui a droit aux soins, à l'eau potable, à un avenir ?

Ou bien nous, les travailleurs.euses du monde entier, allons-nous nous unir et dire stop ?

Car ne vous y trompez pas : l'autoritarisme et la cupidité des entreprises sont coordonnés à l'échelle mondiale.

Notre solidarité doit l'être aussi .

Le SEIU est fier de se tenir aux côtés de l'ISP dans cette lutte mondiale - non seulement en paroles, mais aussi en actes.

Dans toute l'Afrique, nous construisons de véritables partenariats qui renforcent le pouvoir des travailleurs.euses.

En Tanzanie, nous travaillons aux côtés de l'ISP et de nos frères et sœurs syndicalistes de TUGHE, TUICO et TALGHU - en organisant les travailleurs.euses du secteur public, en élargissant l'accès à des soins de santé de qualité et en défendant les services publics contre la menace constante de la privatisation.

Au Kenya, nous sommes uni.e.s au syndicat militant des médecins, pharmaciens et dentistes du Kenya, dont le courage et la clarté dans la lutte pour les droits des travailleurs.euses de la santé nous inspirent tous.tes.

Ensemble, nous élargissons l'accès aux soins, nous garantissons un traitement équitable aux travailleurs.euses de première ligne et nous protégeons les services essentiels contre leur vente à des intérêts commerciaux.

Ces partenariats sont la preuve que la solidarité n'est pas une idée, mais une pratique.

Nous apprenons les uns des autres. Nous élaborons des stratégies ensemble. Et nous construisons un pouvoir collectif qu'aucune frontière ne peut contenir.

Et ce pouvoir - cette solidarité - ne réside pas seulement dans les institutions ou les pratiques.

Il réside dans les personnes.

Elle traverse les familles, les océans et les générations.

Les travailleurs.euses qui se syndiquent à Dar es Salaam ou à Nairobi sont lié.e.s aux infirmièr.e.s et aux concierges qui se syndiquent à Boston et à San Francisco.

Nos partenariats se reflètent dans la vie même de nos membres, preuve que notre mouvement n'est pas seulement international, mais aussi interpersonnel .

Et lorsque j'observe ce mouvement, je vois la même histoire commune se refléter dans nos membres.

Aux États-Unis, des milliers de membres du SEIU ont leurs racines sur ce continent - au Ghana, au Nigéria, au Libéria. Ils/Elles sont infirmier.e.s, aides à domicile, concierges et chauffeurs de bus. Ils/Elles soignent les malades, nettoient nos villes et font vivre nos communautés.

Leur parcours est révélateur d'une vérité que les décideurs politiques ignorent souvent : nos économies sont déjà connectées. Nos luttes sont déjà entrelacées.

Mais nous devons veiller à ce que la migration ne soit pas une autre forme d'exploitation. La richesse de l'Afrique - son peuple, son travail, son éclat - ne doit pas être drainée par les mêmes forces qui ont autrefois volé son or et ses enfants.

L'objectif n'est pas seulement de faire franchir les frontières aux personnes, mais aussi de faire franchir les frontières au pouvoir , pour qu'il revienne aux mains des personnes qui créent la richesse des nations.

C'est pourquoi, mes amis, si nous voulons relever ce défi, si nous voulons passer de la douleur au pouvoir, de l'histoire à l'espoir, nous devons agir.

Permettez-moi de vous proposer cinq mesures que nous devons prendre ensemble pour construire un véritable pouvoir mondial des travailleurs.euses.

Premièrement, nous devons élaborer des stratégies de solidarité transfrontalière.

Nous devons relier nos luttes à travers les pays et les continents - en partageant les outils de syndicalisation, les tactiques juridiques et les victoires des négociations collectives. Construisons des réseaux qui permettent à un.e travailleur.euse de Los Angeles d'apprendre d'un.e enseignant.e de Lusaka, d'une infirmiè.r.e d'Accra, d'une agent d'assainissement de Nairobi. Lorsque nous agissons en coordination, nous agissons en puissance....

Deuxièmement, nous devons défendre et développer les services publics.

Les services publics sont l'épine dorsale de toute société juste - les écoles, les hôpitaux, les transports et l'assainissement. Ce sont les institutions qui rendent la démocratie réelle. Notre mission est de les protéger de l'érosion des entreprises et de les renforcer pour les personnes qu'ils servent.

Troisièmement, nous devons affronter et vaincre la privatisation.

Nous assistons à une nouvelle forme de colonisation : des entreprises prennent le contrôle de ce qui appartient au peuple. Nous devons faire la lumière sur ces pratiques, révéler comment la richesse est extraite et nous mobiliser pour que les services essentiels restent publics, responsables et centrés sur les personnes.

Quatrièmement, nous devons exiger des gouvernements qu'ils investissent dans les personnes. Les gouvernements doivent taxer équitablement les richesses et réorienter ces ressources vers les services sociaux, les soins de santé, les infrastructures et la formation des travailleurs.euses. La mesure morale d'une nation est la façon dont elle investit dans son peuple - et non la façon dont elle abrite les profits des riches....

Enfin, nous devons centrer et renforcer le leadership des travailleurs.euses africain.e.s.

La libération des travailleurs.euses africain.e.s doit être menée par les travailleurs.euses africain.e.s. Le SEIU et ses partenaires à travers le monde sont là pour marcher à vos côtés, pas devant vous. Nous investirons dans le leadership local, dans la syndicalisation autochtone et dans la création de plateformes où les travailleurs.euses africain.e.s définissent leurs propres stratégies et leur propre avenir.

Je crois que c'est le travail dont rêvaient nos ancêtres.

Lorsque j'ai franchi la porte du non-retour, j'ai réalisé quelque chose de puissant :

Je suis leur retour. Nous sommes leur retour.

Nous sommes celles et ceux pour lesquel.le.s ils/elles ont prié - celles et ceux qui peuvent achever ce qu'ils/elles ont commencé.

Et si nous avons le courage de nous tenir ensemble - au-delà des océans et des frontières - pour construire un monde ancré dans la dignité, la justice et l'attention... alors les chaînes qui nous liaient autrefois deviendront les liens qui nous unissent.

Allons donc de l'avant - pour lutter pour la dignité, pour défendre la démocratie et pour rendre justice à chaque travailleur.euse, partout dans le monde.

Parce que lorsque nous luttons ensemble, nous gagnons ensemble.

Et lorsque nous nous aimons suffisamment pour nous battre les un.e.s pour les autres, rien au monde ne peut nous arrêter.

Merci au Ghana.

Merci à l'Afrique.

Merci à l'ISP.

Faisons l'histoire - ensemble.

Allons-y !

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