31 octobre - Journée mondiale des villes 2023 Les droits des travailleurs.euses ALR sont des droits humains !
À l'occasion de la Journée mondiale des villes 2023, l'ISP appelle l'ONU, les États, les maires et les administrations locales et régionales (ALR), ainsi que les organisations alliées, à prendre des mesures urgentes en dialogue et coopération avec les syndicats, afin de traiter la question du déficit de droits humains et de droits du travail des travailleurs.euses des ALR comme une priorité: « Les droits des travailleurs des ALR sont des droits humains ! »
Daria Cibrario
Le rôle clé et la contribution des villes et des administrations locales et régionales (ALR) à la réalisation des droits humains sont de plus en plus reconnus. Le Conseil des droits de l'homme appelle désormais les États à soutenir le renforcement des capacités des ALR afin qu'ils puissent remplir leurs obligations de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits humains à l'échelon local. Pourtant, le respect des droits humains et des droits du travail du personnel des ALR – leur bras opérationnel - reste un défi majeur en soi et fait obstacle à la localisation des droits humains dans les communautés et les territoires. Des effectifs insuffisants, des mauvaises conditions de travail, la précarité, et un accès limité, voire inexistant, à la liberté d'association et de négociation collective sont une réalité quotidienne pour de nombreux.ses travailleurs.euses ALR dans le monde.
C'est pourquoi, à l'occasion de la Journée mondiale des villes 2023 de l'ONU, le message de l'ISP est le suivant : "Les droits des travailleurs.euses ALR sont des droits humains !". Nous appelons l'ONU, les États, les maires et les ALR, ainsi que les organisations alliées, à prendre des mesures urgentes en dialogue et coopération avec les syndicats, afin de traiter la question du déficit de droits humains et de droits du travail des travailleurs.euses des ALR comme une priorité, de manière à ce que la responsabilité des ALR de réaliser les droits humains au niveau local puisse être respectée de manière efficace.
Les collectivités locales et régionales sont essentielles à la mise en œuvre des droits humains
La reconnaissance du rôle clé et de la contribution importante des villes et des administrations locales et régionales(ALR) à la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, à la réalisation des droits humains et à la réponse efficace aux crises ne cesse de croître.
En 2021, le rapport du secrétaire général des Nations unies intitulé "Notre programme commun" a appelé à une plus forte implication des villes et des administrations locales et régionales dans la mise en place d'un multilatéralisme plus inclusif au sein des Nations unies et a proposé la création d'un groupe consultatif des administrations locales et régionales au sein du système. En 2022, la résolution 51/12 du Conseil des droits de l'homme sur les gouvernements locaux et les droits de l'homme a souligné la contribution significative des ALR à la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, y compris la promotion et la protection des droits de l'homme. La résolution 51/12 reconnaît également le rôle essentiel des collectivités territoriales en tant qu'acteurs de première ligne dans l'élaboration de réponses efficaces aux crises, la protection des plus vulnérables et la lutte contre les inégalités; et déclare que "l'une des fonctions importantes des collectivités locales est de fournir des services publics qui répondent aux besoins et priorités locaux liés à la réalisation des droits humains au niveau local"[i].[Elle appelle en outre à la promotion d'une "culture des droits humains dans les services publics et des connaissances des fonctionnaires" par la formation, la sensibilisation et la fourniture d'outils d'orientation pour améliorer "l'éducation aux droits humains (...) ainsi que d’éduquer, de former et de sensibiliser les fonctionnaires pour promouvoir le respect et la réalisation des droits de l’homme dans la société, et insistant à cet égard sur la nécessité d’éduquer et de former les agents des administrations locales sur les questions relatives aux droits de l’homme » [ii]
Qu'en est-il des droits humains des travailleurs.euses des ALR ?
En tant que Fédération syndicale internationale représentant plus de 30 millions de travailleurs.euses des services publics dans le monde, à tous les niveaux de gouvernement, l'Internationale des services publics (ISP) est bien placée pour apprécier la contribution essentielle des administrations locales et régionales- en particulier grâce au travail de leurs travailleurs.euses qui mettent en œuvre les politiques sur le terrain - et celle de l'accès équitable à des services publics de qualité pour tous - dans la réalisation des droits de l'homme.
Les travailleurs.euses ALR - membres de l'ISP - gèrent et fournissent les services publics qui sont essentiels pour sauver des vies, pour vivre dignement et pour transformer les rapports de genre. Ils.elles travaillent dans les secteurs de la santé, des soins et des services sociaux, des services publics d'urgence ; incluent les pompiers, es travailleurs.euses de l'eau et de l'assainissement, des jardins d'enfants et de l'enseignement primaire, des transports publics, de la collecte et de la gestion des déchets, de la production et de la distribution d'énergie, du logement public et social, des services d'accueil des réfugiés et des migrants, des bibliothèques, de la culture, de la police locale et de bien d'autres secteurs encore.
Les travailleurs ALR sont les représentant.e.s du gouvernement en première ligne dans les tranchées des crises multiples que le monde traverse : pandémie et soins, événements climatiques extrêmes, incendies, tremblements de terre et autres catastrophes, déplacements et guerres, déchets plastiques et pollution, pour n'en citer que quelques-unes. Ce sont ces travailleurs.euses essentiel.le.s qui ont assuré la continuité des services publics tout au long de la pandémie de Covid, souvent au prix de leur propre vie ; ceux.celles qui traduisent quotidiennement les politiques publiques sur le terrain et localisent les cadres politiques mondiaux de l'ONU, y compris les ODD, Sendai et l'Accord de Paris. Leur travail est l'instrument clé de la mise en œuvre des droits humains à tous les niveaux de gouvernement.
Cependant, les agent.e.s des services publics locaux doivent souvent fournir des services qui sauvent des vies et la planète avec des effectifs insuffisants : selon une enquête récente de l'ISP menée auprès de plus de 2 000 travailleurs.euses des services de santé et de soins de première ligne, un.e sur trois dans le monde a vu des patients dont il.elle s'occupait mourir faute d'effectifs suffisants, 75 % d'entre eux ayant signalé l'absence d'une politique bien appliquée en matière de ratios patients/personnel[iii].
"Le personnel des services ALR travaille souvent dans des conditions précaires, dangereuses et insalubres, avec des salaires médiocres ou irréguliers, sans les droits fondamentaux de l'homme et du travail tels que la liberté d'association et la négociation collective"[iv].
Pour que les ALR puissent véritablement défendre et réaliser les droits humains sur leurs territoires, les gouvernements à tous les niveaux doivent s'assurer qu'ils défendent et réalisent d'abord et avant tout les droits humains de leurs travailleurs.euses - y compris les droits du travail et les droits syndicaux - qui sont des droits humains. Ce n'est qu'à ce moment-là que les gouvernements locaux auront la pleine capacité de mettre en œuvre les droits humains dans les territoires et les communautés de leurs juridictions par le biais de leurs missions gouvernementales et de la prestation de services publics.
Il faut une approche cohérente. Si les gouvernements locaux doivent effectivement défendre et mettre en œuvre les droits humains dans leurs territoires et communautés, cela implique de veiller à ce que ces mêmes droits humains soient respectés pour leur personnel, y compris les droits des travailleurs.euses et des syndicats, qui sont des droits humains
En outre, le respect des droits du travail pour leur propre personnel est également bénéfique pour les ARL. Une étude américaine réalisée en 2022 a montré que les ALR qui garantissent de bonnes conditions de travail à leur propre personnel en tirent de multiples avantages. Tout d'abord, les emplois des GRL se situant généralement au bas de l'échelle du secteur public, ce sont principalement des femmes et des minorités qui travaillent dans les services publics locaux, de sorte que les améliorations dans ce domaine contribuent à la réalisation des objectifs généraux en matière d'équité. Deuxièmement, le fait de garantir de bonnes conditions de travail sur les lieux de travail des services ALR permet d'attirer et de retenir des travailleurs.euses qualifié.e.s, tout en minimisant le coût élevé d'une rotation fréquente du personnel. Troisièmement, les ALR sont souvent les principaux employeurs dans les zones rurales et défavorisées, et des conditions de travail décentes - y compris en matière de rémunération – ont ainsi un effet multiplicateur dans la communauté, stimulant un développement socio-économique local inclusif. Quatrièmement, en se posant en employeurs modèles, les ALR peuvent définir la norme pour les employeurs privés et à but non lucratif de la communauté. Enfin, en résistant à la privatisation - et en l'inversant - ils assurent de meilleures conditions aux travailleurs.euses ALR, tout en réalisant des économies globales et en garantissant des services de meilleure qualité à moyen et à long terme[v].
Recommandations de l'ISP pour renforcer la capacité des gouvernements locaux à réaliser les droits humains
Le 28 août 2023, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a convoqué une réunion d'experts pour les États, les gouvernements locaux et les parties prenantes afin de discuter du renforcement des capacités des gouvernements locaux à intégrer les droits humains dans toutes leurs activités, conformément à la résolution 51/12. L'ISP y a participé et a contribué par deux déclarations (première déclaration de l'ISP, deuxième déclaration de l'ISP) et une soumission à l 'appel à contribution du HCDH.
Les principales recommandations de l'ISP sont les suivantes
Les Etats doivent canaliser des niveaux adéquats d'investissement public pour renforcer les capacités des gouvernements locaux : non seulement dans les infrastructures physiques, mais aussi dans les capacités humaines, en tant que travailleurs.euses professionnel.le.s, formé.e.s et en nombre suffisant, avec un emploi stable et direct et un travail décent, selon la définition de l'Organisation internationale du travail (OIT).
La décentralisation doit être financée de manière adéquate, afin de renforcer les collectivités territoriales en les dotant d'un personnel adéquat dans des conditions de travail décentes, de manière à ce qu'elles puissent fonctionner correctement; elle doit également fournir des cadres nationaux de relations industrielles propices à un dialogue social constructif et à des négociations collectives entre les employeurs des collectivités territoriales et les organisations représentatives des travailleurs.euses.
La mise en œuvre des droits humains est une obligation fondamentale des États et est donc profondément ancrée dans la fourniture d'un accès équitable à des services publics locaux de qualité pour tous.tes sur leur territoire. Cette responsabilité fondamentale implique que les capacités ne doivent pas être réduites par des mesures d'austérité, le gel des embauches et l'externalisation, la privatisation et le recours systématique à des consultants privés dans les administrations publiques. Inversement, la capacité des ALR à faire respecter les droits humains doit être (re)construite en interne, notamment par la déprivatisation, la (re)municipalisation et l'internalisation de services clés tels que l'eau et l'assainissement.
Les représentant.e.s syndicaux des travailleurs.euses des services publics doivent être associé.e.s dès le départ à la conception et à la mise en œuvre des politiques publiques et des programmes de formation destinés aux employé.e.s des collectivités locales, car ils sont en première ligne et experts de la prestation des services publics et de la mise en œuvre des politiques en matière de droits humains dans les villes et les territoires.
Il est nécessaire de mettre en place des mécanismes de liaison, de communication, de mise en commun de l'expertise et de synergie entre et parmi les organes et agences des Nations unies, y compris entre le Haut-commissariat aux droits de l’homme (HCDH) et OIT, sur cette question cruciale. Il est essentiel que les États - dans le cadre d'un dialogue et d'une coopération avec les gouvernements locaux - améliorent la représentation des gouvernements locaux dans les délégations nationales impliquées dans tous les mécanismes de mise en œuvre des droits de l'homme. Il s'agit notamment d'assurer une représentation significative des ALR à la Conférence internationale du travail (CIT).
Il est également urgent de garantir une approche efficace, intégrée et cohérente au sein des organes et agences des Nations unies ayant pour mandat de réaliser les droits de l'homme, en partant du principe que les droits des travailleurs.euses et des syndicats sont également des droits humains et qu'ils permettent aux fonctionnaires et au personnel des services publics à tous les niveaux de gouvernement de défendre et de réaliser les droits humains dans les territoires, les villes et les communautés relevant de leur juridiction.
Lorsqu'il s'agit de fournir des services publics vitaux et de rechercher des solutions innovantes et pratiques aux multiples crises du monde, les représentants des employeurs et des travailleurs.euses ALR ont besoin d'un espace approprié et de mécanismes significatifs pour s'engager dans un dialogue constructif, pour formuler des recommandations communes et pour canaliser leur expertise et leurs voix dans le système multilatéral[vi].
Les États doivent garantir un cadre juridique et pratique propice au respect des droits humains et des droits du travail des travailleurs.euses ALR , et il leur incombe de veiller à ce que les employeurs ALR disposent des pouvoirs et des ressources nécessaires pour négocier collectivement et de bonne foi avec les syndicats de leurs travailleurs. Cela leur garantirait également des conditions de travail décentes, avec des effectifs suffisants et des équipements de protection individuelle et des outils de travail adéquats pour servir leurs communautés et remplir leurs missions d'intérêt public.
Lorsque nous montons à bord d'un avion, le message de sécurité nous indique qu'en cas de perte de pression dans la cabine, avant de pouvoir aider les autres, nous devons d'abord placer correctement notre propre masque à oxygène. La question de la capacité des gouvernements locaux à mettre en œuvre les droits humains n'est pas différente.
C'est pourquoi, à l'occasion de la Journée mondiale des villes 2023 de l'ONU, le message de l'ISP est le suivant : " Les droits des travailleurs.euses ALR sont des droits humains !". Il appelle l'ONU, les États, les maires, les ALR et les organisations alliées à prendre des mesures urgentes, en dialogue et en coopération avec les syndicats des travailleurs.euses ALR, pour traiter en priorité la question des déficits en matière de droits humains et de droits du travail en sain des travailleurs.euses ALR, afin que ces derniers puissent développer de manière réaliste la capacité d'intégrer et de défendre une approche fondée sur les droits humains dans l'ensemble de leurs activités.
Téléchargez nos affiches - Les droits des travailleurs du GRL sont des droits de l'homme
[i] Assemblée générale des Nations unies, A/HRC/RES/51/12 Les collectivités locales et les droits de l'homme, p.2, Résolution adoptée par le Conseil des droits de l'homme, 6 octobre 2022, Cinquante et unième session 12 septembre-7 octobre 2022, Point 3 de l'ordre du jour, Promotion et protection de tous les droits de l'homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement.
[ii] Ibid.
[iii] Site web de l'ISP, "L'ISP révèle que la moitié des travailleurs de la santé et des soins dans le monde sont sur le point de démissionner", 12 octobre 2023.
[iv] Droits syndicaux, conditions d'emploi et relations de travail dans le secteur des collectivités locales et régionales, ISP LRGNext2021 Brief #7 (2021).
[v] Gerstein, T. et Gong L., The role of local government in protecting workers' rights, Economic Policy Institute, Harvard Law School Labor and Worklife Program and Local Progress, 13 juin 2022.
[vi] Inclusive multi-level governance : the case for the meaningful involvement of local and regional governments and public service trade unions in the multilateral system of the future, in Spotlight on Global Multilateralism "Perspectives on the future of international cooperation in times of multiple crises", Global Policy Forum (2023).