Le groupement Global Unions appelle à l’action dans la perspective d’une transition juste, inclusive et attachée à faire évoluer les dynamiques de genre, pour un monde soucieux de l’environnement et de l’humain

Le groupement Global Unions, représentant 80 millions de travailleuses à travers le monde, appelle les États membres à agir, dans le contexte de la 66e session de la CCF, en rehaussant leurs ambitions et en donnant la priorité aux plans en faveur d’une transition juste, inclusive et apte à faire évoluer les dynamiques de genre, vers une économie soucieuse de l’environnement et de l’humain.

L’urgence climatique est là, et la conclusion de la science est sans appel : nous devons agir maintenant pour façonner une économie verte à faible émission de carbone et faire en sorte que le réchauffement climatique ne dépasse pas 1,5 degré ! L’augmentation actuelle des catastrophes liées au climat, y compris les vagues de chaleur, les inondations, les tempêtes, les sécheresses, les variations dans les régimes pluviométriques et la montée du niveau de la mer exercent déjà un impact profond sur nos vies. Les personnes les plus touchées, et celles qui, selon les prévisions, supporteront l’essentiel des conséquences futures du dérèglement climatique, vivent et travaillent dans la pauvreté ; la grande majorité sont des femmes, beaucoup appartiennent à des groupes marginalisés, travaillent dans l’économie informelle et occupent des emplois précaires.

Les États membres doivent agir dès maintenant en adoptant des plans ambitieux pour une transition juste afin de préserver notre planète et s’attaquer comme il se doit aux profondes inégalités et iniquités qui gangrènent le monde du travail. Ces plans sont fondamentaux en vue d’édifier des sociétés résilientes, durables et justes, à même de répondre à l’urgence climatique et d’atteindre les objectifs fixés dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 (Agenda 2030). L’inégalité et l’iniquité ont pour causes profondes les obstacles sociaux, économiques, culturels, politiques et institutionnels historiques qui entravent l’accès au travail décent, ainsi que l’exposition à la discrimination, à la violence et au harcèlement sur la base d’identités multiples et intersectionnelles. La crise de la santé et des soins mise au jour par la pandémie de COVID-19 a creusé ces inégalités persistantes et donne un aperçu déconcertant des effets asymétriques attendus de la crise climatique imminente. La pandémie a jeté un éclairage cru sur les bas salaires, la médiocrité des conditions de travail, l’absence de mesures de santé et de sécurité adéquates pour les personnes travaillant dans les secteurs du soin et de la santé, dont 70 % sont des femmes et beaucoup sont des personnes migrant·e·s et de couleur. En outre, étant surreprésentées dans les secteurs les plus durement touchés par la crise sanitaire, les femmes ont été affectées de manière disproportionnée par les pertes d’emplois et de revenus, notamment dans l’hôtellerie et la restauration, le tourisme, le commerce de détail, les services alimentaires et le secteur manufacturier, ainsi que l’économie informelle, où les femmes représentent 60 % de la main-d’oeuvre. Selon les données de l’Organisation internationale du Travail (OIT), le nombre de femmes occupant un emploi avait chuté d’au moins 13 millions en 2021 par rapport à 2019. En revanche, l’emploi des hommes a retrouvé ses niveaux de 2019. Avant la pandémie, la charge des tâches de soins non rémunérées pesant sur les femmes était déjà trois fois supérieure à celle des hommes, et ce rapport a augmenté de façon exponentielle pendant la pandémie. On a également assisté à une augmentation spectaculaire des cas de violence à l’égard des femmes et des filles en lien avec la pandémie, y compris la violence domestique.

L’urgence climatique entraîne déjà de graves répercussions sur la vie humaine, affectant de manière disproportionnée les femmes et les groupes marginalisés, aujourd’hui davantage exposés au risque de perte d’emplois et de revenus. Prenons l’exemple du revenu et du bien-être des femmes vivant en milieu rural, sous la menace des effets immédiats et dévastateurs du changement climatique, y compris la perte d’habitats, l’érosion des sols et la désertification, qui toutes portent atteinte à la sécurité alimentaire et aux revenus. Le changement climatique affecte les rôles dévolus aux femmes et aux hommes, la santé, la justice en matière de reproduction, la qualité de vie et l’accessibilité des aliments, et conduit à des déplacements forcés et à des migrations de main-d’oeuvre, qui ne feront qu’accroître la vulnérabilité socioéconomique et le risque de violence fondée sur le genre chez les femmes migrantes et déplacées de force. Il s’agit de ne laisser personne de côté, et pour cela il est absolument déterminant d’apporter une réponse inclusive et apte à faire évoluer les dynamiques de genre face à l’urgence climatique.

Les femmes sont aux avant-postes, qu’il s’agisse de la réponse à la pandémie ou aux urgences climatiques : les jeunes femmes sont à la tête des mouvements contre le changement climatique, les travailleuses fournissent des services essentiels et les dirigeantes syndicales, les cheffes de file du mouvement féministe et les dirigeantes autochtones prônent des actions climatiques inclusives tenant compte de la problématique du genre. En dépit de ces efforts, elles ne sont pas impliquées dans les processus décisionnels et la plupart des plans en faveur du climat ne sont guère inclusifs, ou ne tiennent pas compte de la problématique du genre. Cela va à l’encontre de l’ambition affichée par l’Accord de Paris, qui appelle à une action pour l’adaptation « sensible à l’égalité des sexes », impliquant la consultation des peuples autochtones. Adopté à la COP25, le Plan d’action pour l’égalité entre les sexes appelle à améliorer la mise en oeuvre de l’action climatique sensible au genre à tous les niveaux et à préserver les connaissances et pratiques des communautés locales, autochtones et traditionnelles dans différents secteurs. Il prend en compte les droits de l’homme, la transition juste et les droits des peuples autochtones, qui assurent la préservation de plus de 30 % des terres de la planète et jouent un rôle d’importance vitale en tant que gardiens des ressources naturelles ainsi que dans la réponse mondiale au changement climatique.

Il s’agit ici d’un moment critique pour intervenir face à l’urgence climatique, comme le souligne le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) étudiant le fondement scientifique de l’évolution du climat. Les dirigeant·e·s de ce monde doivent accélérer massivement les efforts de mise en oeuvre des mesures nationales d’atténuation et d’adaptation au climat et financer les actions climatiques en vue d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris et de l’Agenda 2030. Il est essentiel que les gouvernements rehaussent leurs ambitions à l’égard de politiques de transition juste inclusives et tenant compte des considérations de genre, qu’ils adoptent et mettent en oeuvre des plans nationaux pour le climat (« contributions déterminées au niveau national », CDN) et qu’ils concrétisent le Programme de développement durable, y compris l’ODD8 sur la croissance économique et le travail décent, afin que la croissance du PIB ne soit plus associée à la dégradation de l’environnement.

L’Accord de Paris consacre les impératifs de transition juste pour la main-d’oeuvre et de création de travail décent, ce qui met en valeur le rôle déterminant des syndicats, du dialogue social et de la négociation collective. Le concept de transition juste aborde les perspectives environnementales, sociales et économiques de manière globale à travers les politiques de protection sociale, de santé et de sécurité, les politiques sectorielles et les politiques actives du marché du travail, et enfin les politiques de développement des compétences. Une transition juste soutient l’évolution des secteurs à forte intensité de carbone (énergie, transports, construction et alimentation) vers des alternatives à faible intensité de carbone, tout en créant des millions d’emplois respectueux du climat, décents et de qualité, y compris dans l’économie du soin. Une cinquantaine de pays se sont engagés en 2019 à participer à l’initiative Action climatique pour l’emploi, à l’occasion du Sommet Action Climat des Nations Unies.

Il est essentiel d’investir davantage, et de façon appropriée, dans une transition juste vers une économie soucieuse de l’environnement et de l’humain, inclusive et tenant compte des considérations de genre. Cette transition exige des garanties afin d’assurer un travail décent pour toutes et tous, y compris la formalisation du travail informel et l’accès universel à la protection sociale. L’accès universel à des services publics de qualité en matière de soins, de santé et d’éducation, ainsi que de transport, le dépassement de la ségrégation sectorielle et professionnelle, la réalisation du principe de salaire égal pour un travail de même valeur, l’élimination des écarts de rémunération et de compétences et les protections sur le plan de la sécurité et de la santé au travail sont également des principes essentiels dans la démarche de transition juste.

En outre, l’éducation doit être transformée pour soutenir la lutte contre les changements climatiques et appuyer une transition juste. Les étudiant·e·s ont le droit d’acquérir les connaissances, les compétences et les attitudes requises pour préserver notre monde à l’intention des générations actuelles et futures, et de recevoir une éducation qui les prépare au monde du travail dans une économie verte. Il est essentiel de soutenir un journalisme de qualité afin d’informer de façon adéquate les populations au sujet de l’urgence climatique et de lutter contre la désinformation nourrissant le déni du changement climatique.

Dans le cadre des engagements pris au titre du Forum Génération égalité, un certain nombre d’États membres se sont engagés à atteindre d’ici 2026 des objectifs clés liés à l’augmentation des investissements dans le soin à autrui et à la création de 80 millions d’emplois décents dans l’économie du soin, mais aussi à la formalisation inclusive des emplois informels, à la ratification de la convention n° 190 de l’OIT et à l’extension de la protection sociale aux femmes. António Guterres, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, a appelé à une action accélérée en vue d’éradiquer la pauvreté et d’assurer un redressement durable dans le sillage de la pandémie de Covid-19, incluant des objectifs de transition juste en vue de créer 400 millions d’emplois d’ici 2030 dans l’économie verte et le secteur des soins et d’étendre, d’ici 2025, les socles de couverture sociale à près de 4 milliards de personnes actuellement sans protection. Cette démarche s’inscrit dans la droite ligne de la résolution de l’OIT adoptée en juin 2021 (CIT.109/Résolution III), qui contient un cadre d’action en faveur de systèmes de protection sociale universels, adéquats, complets et durables, soutenus par la création d’un fonds mondial pour la protection sociale.

Le groupement Global Unions, représentant 80 millions de travailleuses à travers le monde, appelle les États membres à agir, dans le contexte de la 66e session de la CCF, en rehaussant leurs ambitions et en donnant la priorité aux plans en faveur d’une transition juste, inclusive et apte à faire évoluer les dynamiques de genre, vers une économie soucieuse de l’environnement et de l’humain.

Nous appelons les États membres à engager un dialogue social avec les travailleur·euse·s et leurs syndicats et à adopter des plans nationaux ambitieux en faveur d’une transition juste, fondés sur les objectifs suivants :

  • Maintenir le réchauffement planétaire sous le seuil de 1,5 degré et inclure des politiques et des mesures de transition juste dans les CDN, nouvelles ou améliorées ; ● Respecter l’engagement de mobiliser 100 milliards de dollars américains par an en financement climatique afin de modifier le modèle de développement mondial et décarboniser les pays du Sud. Augmenter la marge de manoeuvre budgétaire grâce à des politiques de fiscalité progressive et en mettant un terme aux paradis fiscaux afin de s’assurer que les entreprises et les pays les plus riches apportent la plus grande contribution. Incorporer la dimension de genre et une perspective inclusive dans tous les instruments de financement climatique ;

    ● Appliquer les Principes directeurs de l’OIT pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour toutes et tous, notamment en investissant des fonds publics dans des emplois à faible empreinte carbone et dans des dispositifs incitant à participer aux marchés publics, en opérant la transition vers des biens et services écologiquement durables et en facilitant une transition juste dans les secteurs de l’énergie, de la construction, de l’alimentation et des transports ;

  • Intégrer l’éducation aux changements climatiques dans les programmes d’études en tant que matière obligatoire, à tous les niveaux de l’enseignement, y compris l’éducation de la petite enfance, l’enseignement technique et professionnel, l’enseignement supérieur et l’éducation des adultes ;

  • Financer des informations fiables sur le changement climatique afin d’informer pleinement les citoyens.

Assurer une transition juste et un monde du travail inclusifs et soucieux de faire évoluer les dynamiques de genre, grâce aux actions suivantes :

  • Créer 575 millions d’emplois décents, respectueux du climat et dans le secteur du soin à autrui, y compris des emplois pour les femmes – en particulier les jeunes femmes – dans les disciplines STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques);

  • Mettre en oeuvre des politiques industrielles durables guidées par le dialogue social afin de créer des emplois décents pour toutes et tous sur la base du salaire minimum et de la formalisation inclusive des emplois informels, reposant sur le droit international du travail. Ces droits comprennent la liberté syndicale et le droit à la négociation collective (conventions nos 87 et 98 de l’OIT), le droit à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement (convention n° 190 et recommandation n° 206 de l’OIT) et le droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale, tous secteurs confondus (convention n° 100 de l’OIT);

  • Garantir la santé et la sécurité au travail en tant que droit fondamental au travail ; appliquer les conventions de l’OIT portant spécifiquement sur les questions de genre (C111, C156, C183 et C189) et garantir le principe de diligence raisonnable des entreprises en matière de droits de l’homme dans le cadre de leurs activités et tout au long des chaînes d’approvisionnement mondiales;

  • Assurer une protection sociale universelle pour toutes et tous, soutenue par un fonds mondial pour la protection sociale en faveur des pays du Sud ; et reconnaître, dans le cadre des régimes contributifs de sécurité sociale, la valeur du travail non rémunéré des soins à autrui;

  • Améliorer l’accès des femmes à une éducation et à une formation professionnelles publiques de qualité et aux secteurs touchés par une ségrégation professionnelle liée au genre;

Accroître les investissements publics dans le domaine des soins, reconstruire l’organisation sociale des soins et reconnaître le droit humain aux soins, grâce aux actions suivantes:

  • Créer 269 millions d’emplois dans les secteurs de la santé et du soin d’ici 2030 (les besoins en matière de soins auront alors augmenté, passant de 1,9 milliard de personnes en 2015 à 2,3 milliards);

  • Garantir un travail décent à quiconque travaille dans le secteur du soin à autrui – y compris les travailleur·euse·s domestiques – en garantissant des salaires décents et des conditions de travail dignes, grâce à la transition des emplois précaires et informels des secteurs du soin et de la santé vers des emplois décents et grâce au recrutement équitable de travailleur·euse·s migrant·e·s de la santé et du soin, quel que soit leur statut juridique;

  • Assurer un accès équitable et abordable à des services sociaux et de soin à la personne, de santé et de transport publics de qualité, soucieux de faire évoluer les dynamiques de genre;

  • Adopter des lois et des politiques visant à faciliter la conciliation entre travail et vie privée, y compris la redistribution des responsabilités en matière de soins non rémunérés.

  • Concevoir des villes autour d’infrastructures à faible émission de carbone pour des systèmes de transport public durables, dotés de lignes et de services répondant efficacement aux besoins de mobilité des travailleuses dans toute leur diversité, et qui puissent permettre aux femmes de faire valoir leurs droits économiques ainsi que leurs droits en matière de santé, de reproduction et d’éducation.

Assurer une participation et une représentation effectives et significatives des femmes, dans toute leur diversité et à tous les niveaux – une étape essentielle aux fins d’atteindre les objectifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et répondre efficacement à la crise actuelle de la santé et des soins ainsi qu’à l’urgence climatique.

Déclaration soutenue par :

CSI - Confédération syndicale internationale, IBB - Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois, IE - Internationale de l’Éducation, FIJ - Fédération internationale des journalistes, ITF - Fédération internationale des ouvriers du transport, UITA - Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie- restauration, du tabac et des branches connexes, ISP - Internationale des services publics, Uni Global Union - Union Network International, FITD - Fédération internationale des travailleurs domestiques