Du défi au succès : syndiquer le personnel des hôpitaux aux Philippines

L’ISP soutient l’Alliance des travailleurs et travailleuses philippins (Alliance of Filipino Workers, AFW) afin de l’aider à se développer et à syndiquer les professionnel-le-s de la santé. L'ISP a demandé à son affilié, le SEIU, le plus grand syndicat du secteur de la santé aux États-Unis, de s'associer à l'AFW pour repenser son approche de la syndicalisation et de la croissance, et a ainsi démontré tout ce qu’une bonne stratégie de syndicalisation permet d’accomplir.

L’AFW représente les professionnel-le-s de la santé dans 12 hôpitaux privés, qui lui confient la rédaction des conventions collectives depuis près de 45 ans. L’AFW apporte en outre régulièrement son soutien aux membres. L’AFW compte parmi ses membres des professionnel-le-s de la santé qui perçoivent un salaire de misère, sont exposés à la violence des employeurs et forcés de travailler comme ouvriers et ouvrières ou aide-soignant-e-s pour la direction de l’hôpital sans être rémunérés. Alors que les travailleurs et travailleuses des hôpitaux syndiqués bénéficient de meilleures conditions de travail, sont plus solidaires et, surtout, peuvent s’exprimer sur leur lieu de travail, l’AFW n’a de son côté pas évolué pendant plusieurs années. Le Comité exécutif a pris la décision de renforcer la capacité de syndicalisation de l’AFW et de syndiquer les « terrains vierges », c’est-à-dire les hôpitaux non syndiqués. Mais le succès n’a pas tout de suite été au rendez-vous.

It's a big YESLa décision de passer à un modèle syndical a été prise de façon démocratique, en impliquant les membres ainsi que les dirigeant-e-s et en organisant un vote lors du Congrès de l’AFW. Le syndicat a décidé de créer un fond syndical dédié (15 % des cotisations totales) et de recruter du personnel spécialisé. Après identification des potentiels hôpitaux à syndiquer, le choix s’est finalement porté sur l’hôpital Asian. Il était prévu de tester une nouvelle méthode afin d’obtenir une « reconnaissance » par le biais d’une pétition des travailleurs et travailleuses. Bien qu’ils aient à l’origine obtenu plus de 60 % de soutien, les représentant-e-s du gouvernement chargés du processus ont fermé les yeux lorsque la direction a commencé à faire pression sur les travailleurs et travailleuses pour qu’ils se retirent de la pétition. Le syndicat a été obligé d’emprunter la voie plus traditionnelle des élections, mais la direction de l’hôpital a tout de même lancé une vague agressive de menaces et d’intimidations, entre autres. La tentative de syndicalisation a finalement échoué, car les 50 % de votes requis par la loi n’ont pu être obtenus. Mais au lieu de laisser la déception entraver son projet, le syndicat a analysé avec attention ses erreurs et dressé la liste de sept leçons apprises, qui est toujours affichée dans leurs locaux.

Les leçons tirées sont les suivantes :

  1. 75 % de soutien des travailleurs et travailleuses vis-à-vis du syndicat avant le vote
  2. Nécessité d’avoir une éducation politique sur les syndicats et des réponses des employeurs
  3. Des responsables syndicaux doivent être présents dans tous les services
  4. Précision dans les chiffres
  5. Un projet, une direction
  6. Cartographie de l’hôpital cible à 100 %
  7. Les infirmiers et infirmières doivent représenter 50 % des dirigeant-e-s

L’une des principales observations du syndicat fut que le nombre d’infirmiers et infirmières syndiqués étaient insuffisants, alors qu’ils constituent le pilier des hôpitaux. Il a en outre souligné la nécessité de leur donner une voix plus forte et plus indépendante au niveau du syndicat et des hôpitaux concernés. C’est pourquoi l’AFW a créé la force opérationnelle RN, un réseau présent au sein de l’AFW dont l’objectif est de défendre les droits des infirmiers et infirmières et d’opérer en tant que branche informelle du syndicat. Les membres d’origine de la RN, issus des membres et de la gouvernance, ont entrepris de se rendre dans tous les hôpitaux de l’AFW et de se montrer à l’écoute des infirmiers et infirmières afin de mieux comprendre leurs préoccupations ainsi que leurs revendications spécifiques.

Ce tour a été un véritable succès, puisqu’il a permis à l’AFW de se constituer une base plus solide pour syndiquer les infirmiers et infirmières et d’identifier de futurs dirigeant-e-s et délégué-e-s syndicaux. Après ces réunions, les infirmiers et infirmières ont également pu faire part de leurs préoccupations à la direction.

NO union

L’échec initial a permis au syndicat de tirer une autre leçon importante : avant de prendre toute mesure, la syndicalisation doit passer par une équipe principale composée de dirigeant-e-s syndicaux et de travailleurs et travailleuses respectés dans chaque service de l’hôpital. En s’appuyant sur ces leçons, l’équipe de l’AFW a ciblé l’hôpital Providence, où l’on retrouve du personnel qui avait précédemment travaillé dans l’un des hôpitaux syndiqués de l’AFW. Ces travailleurs et travailleuses se sont avérés indispensables, dans la mesure où ils ont réussi à redonner de l’espoir à d’autres travailleurs et travailleuses et à leur montrer tout ce qu’un hôpital syndiqué pouvait accomplir. Ils ont formé un groupe avec des collègues partageant les mêmes valeurs afin de lancer la campagne et de terminer la cartographie requise.

En outre, le syndicat a pu mieux comprendre les stratégies potentiellement utilisées par la direction pour le déstabiliser et en informer les travailleurs et travailleuses avant le vote. L’une des stratégies les plus anti-syndicalistes utilisées dans l’hôpital consistait à renvoyer ou à suspendre temporairement les syndicalistes. Le syndicat a immédiatement présenté ces affaires au Service du travail et de l’emploi (Department of Labour and Employment, DOLE) et réussi à réintégrer un certain effectif. Le syndicat continue sa lutte pour la justice pour deux des syndicalistes licenciés.

Coffee packs - YES campaign

La direction a fait circuler de fausses informations hostiles à l’encontre des travailleurs et travailleuses syndiqués, et a notamment affirmé que les syndicats visaient la perte de l’individualité et de la liberté. Elle a par ailleurs incité les travailleurs et travailleuses à voter « non », mais les organisateurs et organisatrices s’y étaient préparés et avaient mis en garde les travailleurs et travailleuses contre ces fausses affirmations et ces stratégies alarmistes. Les campagnes de la direction et les attaques de cette dernière envers les syndicalistes ont par conséquent souvent échoué et ont entraîné l’indignation des travailleurs et travailleuses, qui ont fait passer l’information. La campagne du syndicat est alors devenue le principal sujet de conversation des pauses café et autres discussions informelles.

L’équipe a mis en place plusieurs méthodes innovantes pour communiquer avec les infirmiers et infirmières de l’hôpital. L’une des plus populaires consistait à leur fournir des paquets de café 3 en 1 sur lesquels des informations sur la campagne en faveur du « oui » étaient imprimées. Les infirmiers et infirmières buvant quasiment tous du café pendant leurs gardes, les paquets ont rapidement fait le tour des services.

L’équipe d’origine, composée des principaux organisateurs et organisatrices, a continué à cartographier l’hôpital et à identifier les collègues intéressés, qui sont ensuite devenus des points de relai pour transmettre les informations aux autres collègues lors de conversations informelles. Tout le personnel a finalement discuté avec l’équipe élargie, a été tenu informé de la campagne et invité à y participer activement et régulièrement. Leur contribution a été de taille, dans la mesure où la suspension des membres de l’équipe d’origine aurait sérieusement freiné la campagne s’ils avaient été les seuls travailleurs/euses capables de véhiculer les valeurs de la syndicalisation.

Enfin, même si le jour du vote a été stressant pour l’équipe, cette dernière a été fière d’avoir mené une campagne bien organisée et d’être témoin de la solidarité croissante du personnel, particulièrement entre les infirmiers/ères. Le vote a été remporté avec 63 % de « oui », résultat nettement supérieur aux 50 % attendus. Avec une équipe solide de délégué-e-s et de membres syndiqués, le syndicat est convaincu qu’il peut rapidement passer à un accord ainsi qu’à un processus de négociation collective gérés par les membres.

Le succès de la syndicalisation à l’hôpital Providence a encouragé les dirigeant-e-s de l’AFW à poursuivre leur approche syndicale. Ils ont par ailleurs déjà identifié deux autres hôpitaux où des membres sont prêts à mener une campagne. Le mouvement syndicaliste a le potentiel d’améliorer de manière radicale la vie des travailleurs et travailleuses de la santé et la qualité des soins qu’ils procurent, dans un pays où les besoins en soins sont élevés. L’ISP et la SEIU continuent d’apporter leur soutien au projet afin de garantir que les professionnel-le-s de la santé bénéficient des droits et du pouvoir syndical auxquels ils peuvent prétendre.

* Les affiliés de l'ISP, Vision (Suède) et UNISON (Royaume-Uni), ont également apporté leur soutien à cette initiative de syndicalisation.