Conséquences de l'austérité sur la santé

Les mesures d'austérité peuvent comprendre la mise en place ou l'augmentation de frais appliqués aux usagers/ères des services de santé, la suspension des allocations et l'augmentation des quotes-parts pour les produits pharmaceutiques. Ces mesures entraînent une augmentation des dépenses personnelles des populations pour se soigner. En parallèle, la qualité de l'offre de services de santé s'effondre et provoque des résultats sanitaires en déclin.

L'austérité est une politique que les gouvernements mettent en place pour économiser de l'argent. Elle peut prendre la forme d'une réduction globale des dépenses de l'État calculées en pourcentage du PIB (Produit Intérieur Brut), ou de réductions plus ciblées. Mais quelle qu'en soit la forme, l'austérité inflige des pertes bien spécifiques aux populations. Cette situation pose plus particulièrement problème depuis quelques années, principalement dans le sud de l'Europe depuis la crise économique mondiale de 2008, et en Amérique Latine depuis la fin du boom des matières premières en 2012.

Les gouvernements justifient l'austérité par des discours affirmant qu'il est nécessaire de promouvoir « l'assainissement budgétaire », « la viabilité financière » ou encore « justifier les dépenses publiques », ce qui pour les non-initiés, signifie résoudre le déficit budgétaire à court terme, réduire la pression de la dette externe sur le budget public et remédier aux déséquilibres financiers fallacieux dus aux politiques sociales mises en places par les précédentes administrations de gauche. La « solution » présentée est donc en contradiction totale avec les dépenses publiques, associées aux réformes du travail, de la santé et des retraites.

Les Institutions Financières Internationales (IFI) ont une grande influence sur les recommandations de mesures d'austérité. En Europe, c'est le triumvirat, également appelé Troïka et composé de la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le FMI, qui en est la source. En Amérique Latine, les Institutions de Bretton Woods (le FMI et la Banque mondiale) semblent retrouver leur influence et se permettent de recommander un ajustement fiscal. Une analyse des 27 pays européens et hors Europe, membres de l'OCDE a été menée entre 1995 et 2011. Elle montre bien que l'augmentation de la dette publique avec les IFI, mis à part son volume, est associée à des coupes budgétaires plus importantes dans le secteur de la santé. (REEVES, 2014)

 L'OIT, dans une étude commune avec l'Université de Columbia, a publié un article qui passe en revue 616 rapports pays du FMI dans 183 pays et publiés entre février 2010 et février 2015. Les résultats indiquent que selon les directives du FMI, les réformes dans le secteur de la santé sont envisagées par 56 gouvernements dans 22 pays en développement et 34 pays à hauts revenus.

Mesures liées aux réformes de la santé par région, 2010-2015 (nombre de pays)

Asie orientale et Pacifique

2.

Europe de l'est/Asie centrale

9

Amérique Latine/Caraïbes

2.

Moyen-Orient et Afrique du Nord

3

Afrique du Sud

0

Afrique subsaharienne

6

Total

56

Source : Analyse par l'auteur des 616 rapports pays du FMI publiés entre février 2010 et février 2015

Les travailleurs et travailleuses du secteur de la santé sont touchés différemment par les mesures d'austérité. En voici quelques exemples : ajustement de la masse salariale pour réaliser des économies – mesure envisagée par 130 gouvernements dans le monde – y compris le non-ajustement des salaires alignés sur l'inflation locale ; baisse des investissements dans les soins de santé publique, qui peut provoquer des licenciements – réductions du personnel médical – et saturation ; privatisations. Et dans de nombreux cas, ce n'est pas à ces mesures qu'on attribue la crise.

Les mesures d'austérité peuvent comprendre la mise en place ou l'augmentation de frais appliqués aux usagers/ères des services de santé, la suspension des allocations et l'augmentation des quotes-parts pour les produits pharmaceutiques. Ces mesures entraînent une augmentation des dépenses personnelles des populations pour se soigner. En parallèle, la qualité de l'offre de services de santé s'effondre et provoque des résultats sanitaires en déclin[1]. Les effets sont particulièrement importants dans les systèmes de santé fragiles et aggravent les inégalités sanitaires entre les pays, et au sein même des pays.

Les travailleurs et travailleuses de la santé publique ne sont pas les seuls concernés par les coupes dans les dépenses de santé. Les usagers/ères de ces services en subissent également les conséquences. Les plus touchés sont ceux et celles qui affichent les revenus les plus faibles, ceux et celles qui ne peuvent se permettre de payer les services de soins et qui s'en trouvent donc exclus totalement ou qui ne bénéficient que d'une aide insuffisante vis-à-vis de leurs besoins.

On constate également un déplacement des effets de la crise de la sphère publique aux ménages, ce qui n'est pas courant dans les analyses économiques. Les femmes sont beaucoup plus touchées que les hommes. Et quand l'État n'offre pas d'aide sociale, ce sont généralement les femmes qui s'occupent des personnes âgées, des malades et des enfants. Pour cela elles délaissent leur emploi pour les tâches domestiques non rémunérées.

On associe d'autres effets hétérogènes des mesures d'austérité à un affaiblissement de la santé mentale, la dépression, l'anxiété, l'augmentation de la consommation de substances (alcoolisme et tabagisme par exemple) et un taux de suicide plus important[2]. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies a alerté sur les risques sanitaires graves qui font leur apparition suite aux mesures d'assainissement budgétaire prises depuis 2008.

Une étude systématique de la crise économique grecque entre 2009 et 2013 a permis d'observer les effets suivants sur le système de santé du pays : réduction des dépenses de santé publique dans les deux systèmes de prestation de services ; réduction de la masse salariale dans le secteur de la santé, réduction du volume horaire et perte de salaire ou de retraite ; réduction de l'offre de services de santé, notamment les services offerts par les hôpitaux universitaires ; fluctuation du marché pharmaceutique, avec augmentation de la consommation durant la période étudiée (principalement des médicaments traitant les pathologies psychiatriques), suivie d'une chute de la consommation qui a mené à la fermeture de certaines usines pharmaceutiques dans le pays ; réduction du financement de la recherche biomédicale[3].

En conséquence, la qualité des services de santé en Grèce a été impactée, de par la restriction des offres de services et le sort du personnel de santé, dont les performances ont été compromises par le stress subi dans la sphère privée et professionnelle. Nikolaos Grigorakis et al attirent également l'attention sur l'augmentation des dépenses personnelles de la population grecque, due aux obstacles empêchant un accès normal aux services de santé publique. Cette situation s'aggrave encore en raison de la baisse des revenus des ménages, conséquence du fort taux de chômage, des baisses de salaire et aide sociale, et du remboursement des dépenses de santé de la part de l'assurance santé.

Certains pays comme l'Espagne et le Portugal, qui ont mis en place des politiques d'austérité, ont dû faire face à des difficultés similaires. L'Islande en revanche, où l'austérité a été rejetée par vote du peuple, a multiplié ses investissements dans le domaine de la santé, avec un résultat très différent[4]. Selon Vieira, qui a procédé à une vaste étude des impacts de la crise économique et de l'austérité budgétaire : 1) la crise économique peut accentuer les problèmes de société et les inégalités sociales ; 2) la crise économique peut détériorer l'état de santé de la population ; 3) les mesures d'austérité budgétaire, qui définissent la réduction des dépenses de protection sociale exacerbent les effets de la crise sur la santé, plus particulièrement les conditions sociales ; et 4) le maintien des programmes de protection sociale constitue une mesure importante pour protéger la santé de la population et pour retrouver la croissance économique dans un délai court[5].

Les politiques de protection sanitaire et sociale constituent un facteur qui soulage les effets du chômage et/ou de la baisse des salaires. Les pays ayant maintenu ou renforcé les politiques de protection sociale, notamment le transfert de fonds, pendant les périodes de crise, comme mesure anticyclique, ont présenté les meilleures performances économiques et sociales et le nombre le plus bas d'incidents de santé mentale et de suicides.

Point essentiel à retenir pour les habitants d'Amérique Latine et autres pays en développement, il est utile de tirer les leçons de l'expérience des Européens et d'apprendre quel est le meilleur moyen de présenter des résultats fiables et convaincants à propos des effets délétères de l'austérité sur la santé des populations. Ces points peuvent servir lors de négociations collectives.

L'ISP revendique le droit à une prise en charge sanitaire publique, universelle, de droit, orientée patient et de bonne qualité. L'investissement dans les richesses sociales et sanitaires est essentiel et ne grève pas les finances publiques. Bien au contraire, les activités médicosociales, sociales et sanitaires constituent de véritables créateurs de richesses et sont abordables, mêmes dans les pays les plus pauvres.

Le débat devrait toujours s'articuler autour de la population et pas uniquement sur les questions liées aux dépenses. Il existe des alternatives pour gérer le déficit budgétaire actuel qui n'impliquent pas de coupes dans les dépenses publiques. Mais elles nécessitent une imposition plus progressive et surtout une surveillance de la fraude fiscale. Les gouvernements devraient pérenniser leurs engagements vis-à-vis de la santé publique, des retraites et des services sociaux pendant les périodes de crise et présenter de nouveaux programmes visant à étendre la protection sanitaire et sociale à tous et toutes.

Références :

BARRETO, M. L. Austerity comes to Latin America: Lessons from the recent European experience on studying its effects on health. Debate. Salud Colectiva. 14(4):681-684. 2018. Consultable ici : https://www.researchgate.net/publication/329703731_Austerity_comes_to_Latin_America_Lessons_from_the_recent_European_experience_on_studying_its_effects_on_health

Bruff, I.; Wöhl, S. Constitutionalizing Austerity, Disciplining the household: Masculine Norms of Competitiveness and the Crisis of Social Reproduction in the Eurozone. In: Hozic, Aida A. and True, Jacqui (eds.): Scandalous Economics: Gender and the Politics of Financial Crises, Oxford: Oxford University Press, 92-108.

FERNANDEZ, A. et al. Effects of the economic crisis and social support on health-related quality of life: first wave of a longitudinal study in Spain. The British Journal of General Practice: The Journal of the Royal College of General Practitioners, v. 65, n. 632, p. e198–203, mar. 2015. https://bjgp.org/content/65/632/e198

ILO: The Decade of Adjustment: A Review of Austerity Trends 2010-2020 in 187 Countries. ESS Working Paper No. 53. Columbia University and the The South Centre, 2015. Consultable ici : https://www.social-protection.org/gimi/RessourcePDF.action?ressource.ressourceId=53192

KARANIKOLOS, M. et al. Financial crisis, austerity, and health in Europe. Lancet (London, England), v. 381, n. 9874, p. 1323–1331, 13 abr. 2013. Consultable ici : https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(13)60102-6/fulltext

KENTIKELENIS, A. et al. Greece’s health crisis: from austerity to denialism. Lancet (London, England), v. 383, n. 9918, p. 748–753, 22 fev. 2014. Consultable ici : https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(13)62291-6/fulltext

LABONTÉ, R.; STUCKLER, D. The rise of neoliberalism: how bad economics imperils health and what to do about it. Journal of Epidemiology and Community Health, v. 70, n. 3, p. 312–318, mar. 2016. Consultable ici : https://www.researchgate.net/publication/282361067_The_rise_of_neoliberalism_How_bad_economics_imperils_health_and_what_to_do_about_it

Mladovsky, P.; Drivastava, D.; Cylus, J.; Karanikolos, M.; Evetovits, T.; Thomson, S.; McKee, M. 2012. Health policy responses to the financial crisis in Europe (Copenhagen, WHO). Consultable ici : http://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0009/170865/e96643.pdf

REEVES, A. et al. The political economy of austerity and healthcare: cross-national analysis of expenditure changes in 27 European nations 1995-2011. Health Policy (Amsterdam, Netherlands), v. 115, n. 1, p. 1–8, mar. 2014. Consultable ici : http://researchonline.lshtm.ac.uk/1386879/1/1-s2.0-S0168851013003059-main.pdf

Schramm JMA, Sousa RP, Villarinho L. Políticas de austeridade e seus impactos na saúde: um debate em tempos de crises. Rio de Janeiro: Centro de Estudos Estratégicos da Fiocruz, Fiocruz; 2018. Consultable ici : http://www.cee.fiocruz.br/sites/default/files/1_Joyce%20M-R%C3%B4mulo%20P-Luiz%20V_austeridade_1.pdf

SIMOU, E.; KOUTSOGEORGOU, E. Effects of the economic crisis on health and healthcare in Greece in the literature from 2009 to 2013: a systematic review. Health Policy (Amsterdam, Netherlands), v. 115, n. 2-3, p. 111–119, abr. 2014. Consultable ici : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0168851014000475/pdfft?md5=86e37425eee9a50b2ef85e03a9e6e887&pid=1-s2.0-S0168851014000475-main.pdf

Stuckler, D.; Basu, S. 2013. The body economic: Why austerity kills (New York, NY, Basic Books).

The World Health Organization (WHO). 2010. Health systems financing: The path to universal coverage, World Health Report 2010 (Geneva). Consultable ici : https://www.who.int/whr/2010/whr10_en.pdf?ua=1

VIEIRA, F. S. Crise econômica, austeridade fiscal e saúde: que lições podem ser aprendidas?. Brasília: Instituto de pesquisa econômica aplicada, 2016. Consultable ici : http://repositorio.ipea.gov.br/handle/11058/7266



[1] Voir Karanikolos et al., 2013; Mladovsky et al., 2012

[2] Voir WHO, 2011; Stuckler and Basu, 2013

[3] Simou & Koutsogeorgou 2014

[4] Karanikolos, 2013

[5] Schramm, Paes-Sousa & Pereira Mendes, 2018