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De zéro à la victoire Comment les syndicats de l'ISP ont redéfini la politique du Traité sur la pandémie au sujet du personnel soignant

En écrivant à leurs gouvernements, en organisant des réunions et en participant à des comités d'expert.e.s, les affiliés de l'ISP ont réussi à redéfinir l'article sur le personnel de santé et de soins dans le Traité sur les pandémies. L'impact a été spectaculaire : alors que le Projet Zéro de février 2023 ne contenait que 2 de nos 10 demandes clés, le texte soumis à la 74ème Assemblée mondiale de la Santé les incluait presque toutes.

Pedro Villardi

Baba Aye
La 78ème Assemblée mondiale de la Santé a approuvé le Traité sur les pandémies le 20 mai 2025, après plus de trois ans de négociations dans un contexte politique complexe marqué par le retrait des États-Unis de l'OMS.
L'accord représente une victoire importante pour les travailleurs.euses de la santé, fruit de la mobilisation des affiliés de l'ISP qui ont réussi à transformer radicalement les dispositions relatives au personnel de santé et de soins.
Toutefois, le texte reste insuffisant sur les questions d'équité, les articles sur la recherche et le développement, la production diversifiée et le transfert de technologie n'étant pas assortis de mesures contraignantes, ce qui maintient le statu quo qui perpétue les inégalités d'accès aux technologies de la santé entre les pays du Nord global et du Sud global.
La 78ème session de l'Assemblée mondiale de la Santé (AMS) a approuvé le Traité sur les pandémies dans la matinée du 20 mai 2025. Le Bureau Intergouvernemental de Négociation (BIN) a soumis le texte final à l'AMS après plus de trois ans de négociations et plus de 20 sessions de négociations officielles. L'accord sur les pandémies est un événement marquant dans le domaine de la santé mondiale. Il s'agit seulement du deuxième instrument contraignant adopté par l'OMS dans son histoire.
Le moment historique où cela s'est produit est particulièrement pertinent. Le multilatéralisme en tant que système de gouvernance de la santé mondiale est menacé depuis plusieurs années, avec la montée des gouvernements d'extrême- droite et le pouvoir croissant des entreprises, qui poussent de plus en plus fort pour placer leurs intérêts au centre des politiques de santé mondiale.
Depuis février, date à laquelle Donald Trump a entamé son second mandat à la présidence des États-Unis, le contexte politique est devenu encore plus complexe et délicat. Trump a mis en pratique une série d'actions qui remodèlent le monde ou le multilatéralisme. Trump s'en prend aux systèmes de gouvernance mondiale. Les États-Unis augmentent les droits de douane sur un large éventail de produits à destination de pratiquement tous les pays du monde et, par conséquent, démantèlent le système commercial en vigueur depuis le début des années 90.
En ce qui concerne la gouvernance mondiale de la santé, M. Trump a annoncé que les États-Unis se retireraient de l'OMS et cesseraient donc de financer l'organisation. Les États-Unis étaient responsables de 18% du financement de l'OMS et cette décision met en péril l'avenir même de l'OMS en tant que principale organisation de santé dans le monde.
La division Sud-Nord
Depuis les premiers mois de 2022, lorsque les négociations ont commencé, le principal moteur a été l'élan politique créé par les inégalités dans l'accès aux vaccins et aux autres technologies de santé lors de la pandémie de COVID-19. Cependant, les pays du Nord global ont toujours défendu les intérêts des entreprises pharmaceutiques depuis le début des négociations. D'un côté, les pays du Sud global font pression pour obtenir des mesures contraignantes visant à promouvoir le transfert technologique, le renforcement des capacités de production, la suspension des règles de propriété intellectuelle et un système équitable d'accès aux agents pathogènes et de partage des avantages ; de l'autre, les pays du Nord global défendent le maintien du statu quo qui a conduit à la tragédie des inégalités dans l'accès aux technologies de la santé pendant la pandémie de COVID-19, ainsi qu'à des systèmes de surveillance plus solides, avec des mécanismes d'alerte précoce. Cela a créé, comme on pouvait s'y attendre dans une certaine mesure, une impasse entre les pays du Nord global et du Sud global.
D'autres points des négociations étaient tout aussi pertinents, comme l'Article sur le personnel de santé et de soins. Le premier document publié par le Bureau ne contenait rien d'autre que quelques dispositions sur la formation et le déploiement des travailleurs.euses en cas d'urgence, et sur la création d'une sorte de main-d'œuvre "internationale" qui pourrait aider les pays en cas d'urgence.
Le rôle clé des affiliés de l'ISP
L'ISP et ses affiliés ont joué un rôle crucial dans l'amélioration du texte relatif au personnel de santé et de soins. Partant d'un texte inférieur au minimum requis, la mobilisation, l'organisation et les actions de plaidoyer des affiliés de l'ISP ont considérablement et radicalement modifié le texte, y compris plusieurs mesures clés identifiées par ces mêmes affiliés, lors des consultations organisées par l'ISP en 2022 et 2023.
Dans le tableau ci-dessous, il est possible de voir les revendications identifiées et leur présence ou non dans la version publiée par le Bureau tout au long des négociations. Les actions menées par les affiliés de l'ISP, en écrivant à leurs gouvernements respectifs, en organisant des réunions, en participant à des comités d'expert.e.s, entre autres, ont permis de redéfinir l'article relatif au personnel de santé et de soins. Le Projet Zéro publié en février 2023 ne contenait que deux des dix revendications identifiées comme essentielles. L'année suivante, le texte soumis à la 74ème Assemblée mondiale de la Santé, lorsque l'Article 7 a été avalisé, contenait presque toutes les revendications.

Il s'agit là d'une formidable démonstration du pouvoir des travailleurs.euses. Tout au long du processus, les syndicats de toutes les régions ont envoyé des lettres et organisé des réunions avec leurs gouvernements respectifs, leur demandant les positions qu'ils adopteraient à la table des négociations en ce qui concerne les dispositions relatives au travail et à l'équité, et exigeant qu'ils défendent les points sus-mentionnés. Les pays de toutes les régions ont défendu un ou plusieurs points, ce qui a permis d'améliorer l'article sur le personnel de santé et de soins.
Lacunes en matière d'équité : les points faibles de l'Accord
Si l'Accord sur la pandémie peut être considéré comme une victoire pour les travailleurs.euses en ce qui concerne les dispositions relatives au personnel de santé et le moment auquel l'OMS et le multilatéralisme lui-même sont confrontés, le texte n'est pas à la hauteur en ce qui concerne les dispositions relatives à l'équité.
Rappelons que le texte de la décision SSA2 (5) qui a établi le BIN énonce les raisons d'un AP qui comprend, adopté fin 2021 : "...combler les lacunes dans la prévention, la préparation et la réponse aux urgences sanitaires, y compris dans le développement et la distribution de contre-mesures médicales telles que les vaccins, les produits thérapeutiques et les diagnostics, et dans l'accès libre, rapide et équitable à ces contre-mesures, ainsi que dans le renforcement des systèmes de santé et de leur résilience en vue de parvenir à une couverture sanitaire universelle". Il est difficile de soutenir que le texte approuvé par la 78ème Assemblée mondiale de la Santé réponde aux raisons énoncées dans cette décision.
Les Articles 9 "Recherche et développement", 10 "Production locale durable et géographiquement diversifiée", 11 "Transfert de technologie et coopération en matière de savoir-faire pour la production de dispositifs médicaux liés aux pandémies" et 12 "Système d'accès aux agents pathogènes et de partage des avantages" sont au cœur des dispositions relatives à l'équité. À l'exception de l'Article 12, aucun des trois autres articles ne prévoit de mesures contraignantes.
L'Article 9 est divisé en quatre piliers : (1) renforcer les capacités de R&D diversifiées, y compris dans les pays en développement ; (2) encourager la collaboration en matière de recherche et le partage d'informations ; (3) essais cliniques pour les produits liés à la pandémie ; et (4) R&D financée par des fonds publics. Cet article est plutôt faible : il est rempli de "caveats" (expressions qui assouplissent les dispositions) et d'autres lacunes qui permettent aux parties d'éviter d'adopter des mesures plus efficaces pour atteindre les objectifs des piliers. L'Article 10 exige que les parties prennent des mesures pour atteindre trois objectifs : (i) parvenir à une distribution géographique plus équitable et à une production à grande échelle rapide des produits de santé liés à la pandémie ; (ii) accroître l'accès durable, opportun et équitable à ces produits ; et (iii) réduire au minimum les écarts entre l'offre et la demande pendant les situations d'urgence pandémique.
L'Article 10 "Diversification des capacités de production" comporte un engagement au titre du paragraphe 2. Il appelle à renforcer la production nationale et régionale de produits de santé pandémiques dans les pays en développement par le développement des compétences, le renforcement des capacités, la transparence, le transfert de technologie, l'investissement, les partenariats, les initiatives de l'OMS et les achats locaux. L'augmentation rapide de la production en cas de pandémie sera assurée. Toutefois, cet engagement est assorti de réserves - "le cas échéant" et "sous réserve des législations nationales" - qui le compromettent. Il en résulte une liste de trois objectifs que les parties doivent atteindre : (i) parvenir à une répartition géographique plus équitable et à une augmentation rapide de la production de dispositifs médicaux liés à la pandémie ; (ii) accroître l'accès durable, opportun et équitable à ces produits ; et (iii) réduire au minimum les écarts entre l'offre et la demande pendant les situations d'urgence pandémiques.
L'Article 11 "Transfert de technologie et coopération en matière de savoir-faire pour la production de produits de santé liés à la pandémie" était l'un des plus controversés. Il a exigé de nombreux efforts de négociation. Au titre de cet article, les pays en développement attendaient des engagements concrets en matière de transfert de technologie. Or, les pays développés ont bloqué toute formulation visant à améliorer le statu quo, s'opposant notamment à la coopération sur "l'adoption et la mise en œuvre" de "mesures assorties de délais". En fin de compte, toutes les références au transfert de technologie ont été qualifiées de "conditions convenues d'un commun accord", sur une base volontaire. Une note de bas de page a été incluse pour préciser que les "conditions convenues d'un commun accord" ne portent pas atteinte au droit des gouvernements d'utiliser des mesures autorisées par le droit international, telles que les licences obligatoires, pour faciliter le transfert de technologies. Le texte n'offre pas non plus de nouvelles solutions aux obstacles à la propriété intellectuelle, si ce n'est qu'il confirme l'utilisation des flexibilités prévues par l'accord sur les ADPIC.
L'Article 12 "Système d'accès aux agents pathogènes et de partage des avantages (PABS)" est devenu une annexe à négocier séparément : les détails opérationnels, y compris le champ d'application et les définitions, doivent être annexés à l'AP dans le cadre de négociations ultérieures. L'Article 12 est le seul à prévoir des mesures contraignantes : il indique clairement qu'il faut garantir un accès équitable aux dispositifs médicaux par le biais de contrats juridiquement contraignants signés entre les fabricants participants et l'OMS.
Concrètement, il crée un système de l'OMS visant à promouvoir la distribution rapide et opportune de "matériels et d'informations sur les séquences d'agents pathogènes susceptibles de provoquer une pandémie", et ce dans des conditions d'égalité. Chaque fabricant participant mettra à la disposition de l'OMS, dans le cadre de contrats juridiquement contraignants signés avec l'OMS, un accès rapide à 20% de sa production en temps réel de vaccins, de produits thérapeutiques et de produits de diagnostic (VTD), dont 10% seront fournis à titre de don et le pourcentage restant sera fourni en fonction de la nature et de la capacité du fabricant et sera réservé à l'OMS à des prix abordables.
Conclusion
L'Accord sur la pandémie représente une étape historique pour les travailleurs.euses de la santé, démontrant le pouvoir de la mobilisation syndicale en transformant radicalement les dispositions relatives au personnel de santé et de soins - de seulement deux des dix revendications identifiées dans le projet initial à la quasi-totalité des revendications incluses dans le texte final. Cependant, l'Accord n'est toujours pas à la hauteur des attentes en termes d'équité, les Articles 9, 10 et 11 manquant de mesures contraignantes effectives et contenant des clauses échappatoires qui permettent aux pays d'éviter des engagements concrets en matière de transfert de technologie, de diversification de la production et d'accès équitable aux technologies de la santé. Dans ce contexte, il est essentiel que les affiliés suivent de près l'évolution des négociations sur l'Article 12 relatif au système d'accès aux agents pathogènes et de partage des avantages, la seule disposition véritablement contraignante en termes d'équité, tout en intensifiant leurs efforts pour traduire les victoires remportées au niveau multilatéral en agendas nationaux solides qui garantissent la mise en œuvre effective des avancées réalisées dans le domaine du personnel de santé.