Chaque seconde, l’équivalent d’un salaire annuel d’infirmier échappe aux États pour se retrouver dans des paradis fiscaux

L’édition inaugurale de « Justice fiscale : état des lieux 2020 » constitue la première étude à proposer une mesure rigoureuse du manque à gagner fiscal de chaque pays, que ce soit en raison des abus fiscaux des sociétés ou de l’évasion fiscale de citoyens privés, et marque ainsi un grand pas en avant dans le renforcement de la transparence fiscale.

Chaque année, les abus fiscaux commis par des personnes physiques et morales coûtent aux États plus de 427 milliards de dollars américains en recettes fiscales, soit l’équivalent de près de 37 millions de salaires annuels d’infirmiers – ou un salaire annuel d’infirmier chaque seconde.

Dans un contexte où les pays du monde entier, épuisés par la pandémie, se battent pour faire face à une deuxième voire une troisième vague de coronavirus, une étude inédite publiée ce jour chiffre pour la première fois les montants de fonds publics échappant à chaque pays en raison de la fraude fiscale mondiale et identifie les pires contrevenants en la matière.

Au rythme des divers événements de lancement nationaux et régionaux conjoints aux quatre coins du globe, les économistes, syndicats et militants exhortent les gouvernements à adopter sans délai les mesures de réforme fiscale reportées depuis longtemps afin de réprimer les abus fiscaux à l’échelle mondiale et remédier aux inégalités et aux difficultés exacerbées sous l’effet des pertes en recettes fiscales.

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Chaque seconde, l’équivalent d’un salaire annuel d’infirmier échappe aux États pour se retrouver dans des paradis fiscaux

Chaque Seconde

Rosa Pavanelli, Secrétaire générale de l’Internationale des services publics, a déclaré :

"Si les travailleurs de la santé de première ligne sont confrontés à l'absence de PPE et à un manque brutal de personnel, c'est parce que nos gouvernements ont passé des décennies à rechercher l'austérité et la privatisation tout en permettant l'abus de l'impôt sur les sociétés. Pour de nombreux travailleurs, voir ces mêmes politiciens les "applaudir" maintenant est une insulte. La colère croissante du public doit être canalisée vers des actions concrètes : faire en sorte que les entreprises et les méga-riches paient enfin leur juste part pour reconstruire de meilleurs services publics.

"Lorsque les services fiscaux sont réduits et les salaires diminués, les entreprises et les milliardaires trouvent encore plus facile d'escroquer l'argent de nos services publics et de le placer sur leurs comptes bancaires à l'étranger. Ce n'est bien sûr pas un accident ; de nombreux politiciens ont délibérément renvoyé les gardes chez eux. La seule façon de financer la reprise à long terme est de s'assurer que nos autorités fiscales ont le pouvoir et le soutien nécessaires pour empêcher les entreprises et les méga-riches de ne pas payer leur juste part. La richesse existe pour maintenir nos sociétés en fonctionnement, nos personnes vulnérables en vie et nos entreprises à flot : nous devons simplement empêcher qu'elle ne s'écoule à l'étranger.

"Soyons clairs. Si les entreprises et les méga-riches abusent de milliards d'impôts, ce n'est pas parce qu'elles sont innovantes. Ils le font parce qu'ils savent que les politiciens les laisseront s'en tirer. Maintenant que nous avons vu les résultats brutaux, nos dirigeants doivent arrêter les milliards qui sortent des services publics et vont sur des comptes offshore, ou ils risquent d'alimenter le cynisme et la méfiance envers le gouvernement."

Justice fiscale : état des lieux 2020

Cette publication inaugurale de « Justice fiscale : état des lieux » s’accompagne de nombreuses grandes premières. Édition originale du tout premier rapport annuel de ce type consacré au coût économique et social annuel des abus fiscaux internationaux, elle constitue également la première étude qui présente des estimations globales des sommes colossales de recettes fiscales perdues chaque année par l’ensemble des pays de la planète en raison d’abus fiscaux commis par des personnes physiques et morales, et qui en explique les répercussions sur les dépenses de santé nationales.

Les pays riches, à l’origine de la quasi-totalité des pertes fiscales mondiales

En identifiant les pires contrevenants parmi les pays responsables de la fraude fiscale dans le monde, « Justice fiscale : état des lieux 2020 » démontre comme jamais encore, jusqu’à présent, que les principaux responsables de la fraude fiscale à l’échelon international sont en fait les pays riches, au cœur de l’économie mondiale, et leurs dépendances – et non les pays qui apparaissent sur la liste noire des paradis fiscaux hautement politisée de l’UE, ou certains petits États insulaires aux plages bordées de palmiers, comme beaucoup pourraient le penser. Les pays à revenu élevé sont responsables de 98 pour cent de l’ensemble des recettes fiscales perdues dans le monde chaque année, soit un manque à gagner annuel supérieur à 419 milliards de dollars, contre à peine 2 pour cent pour les pays à faible revenu, soit plus de 8 milliards de dollars d’impôts perdus chaque année.

Parmi les pires contrevenants, cinq juridictions arrivent en tête : le territoire britannique des îles Caïmans (à l’origine de 16,5 pour cent des pertes fiscales mondiales, soit plus de 70 milliards de dollars), le Royaume-Uni (10 pour cent ; plus de 42 milliards de dollars), les Pays-Bas (8,5 pour cent ; plus de 36 milliards de dollars), le Luxembourg (6,5 pour cent ; plus de 27 milliards de dollars) et les États-Unis (5,53 pour cent ; plus de 23 milliards de dollars).

Les coûts

Justice fiscale : état des lieux 2020

$427 milliard

perdus dans les paradis fiscaux

34 millions

de salaires annuels d’infirmiers perdus

Un salaires d’infirmier

par second

La toile d’araignée britannique, à l’origine de plus d’un tiers des pertes fiscales mondiales

Le territoire britannique d’outre-mer des îles Caïmans est à lui seul responsable de la majeure partie des pertes fiscales de la planète, représentant un manque à gagner fiscal de plus de 70 milliards de dollars pour les autres pays. Mais ces îles ne représentent qu’une seule des juridictions relevant du réseau de territoires d’outre-mer et de dépendances de la Couronne, au sein duquel le Royaume-Uni dispose des pleins pouvoirs pour imposer ou opposer son veto au processus législatif et où le pouvoir de nommer les principaux responsables gouvernementaux dans ces territoires et dépendances incombe à la Couronne britannique. D’importantes recherches ont démontré le fonctionnement de ce réseau, tristement connu sous le nom de toile d’araignée britannique6, composé de paradis fiscaux favorisant la fraude à l’impôt sur les sociétés ou l’évasion fiscale privée à l’étranger, le tout gravitant autour de la City de Londres.

La plupart des territoires d’outre-mer et des dépendances de la Couronne britannique figuraient en bonne place dans l’Indice 2019 des paradis fiscaux pour les sociétés du Réseau pour la justice fiscale, qui classe les pays en fonction de la complicité de leurs systèmes juridiques et financiers en matière d’évasion fiscale des sociétés dans le monde. L’indice avait précédemment estimé que le Royaume-Uni et son réseau de territoires d’outre-mer et de dépendances de la Couronne étaient collectivement responsables d’un tiers des risques mondiaux en matière de fraude à l’impôt sur les sociétés à l’échelle mondiale.7

Bien que l’indice mesure les risques de fraude à l’impôt sur les sociétés, il ne pouvait mesurer directement les pertes liées à l’impôt sur les sociétés découlant de ces risques en raison de la difficulté à évaluer la fraude fiscale des sociétés avant que l’OCDE ne commence à publier les données des déclarations pays par pays, au cours de l’été dernier.

Aujourd’hui, le rapport « Justice fiscale : état des lieux 2020 » confirme que la toile d’araignée britannique est responsable de 28,5 pour cent des pertes fiscales essuyées par les pays en raison de la fraude à l’impôt sur les sociétés. En y ajoutant les pertes liées à la fraude fiscale privée, la toile d’araignée britannique est à l’origine de 37,4 pour cent de toutes les pertes fiscales subies par les pays du monde entier, soit un total de plus de 160 milliards de dollars chaque année.

Liste noire des paradis fiscaux de l’UE : moins de 2 pour cent de pertes attribuables à ces juridictions, quand les États membres de l’UE en causent 36 pour cent

Sur les 12 paradis fiscaux apparaissant sur la liste de l’UE des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales, seules les données de 8 juridictions étaient accessibles dans le contexte de la préparation du rapport « Justice fiscale : état des lieux 2020 » : Barbade, Fidji, Palaos, Panama, Samoa, Trinité-et-Tobago, Îles Vierges américaines, Vanuatu et Seychelles. Collectivement, ces huit juridictions représentent pour les autres pays un manque à gagner fiscal de 1,72 pour cent, soit plus de 7 milliards de dollars d’impôts perdus chaque année. Le Réseau pour la justice fiscale dénonce depuis longtemps10 le fait que la liste noire de l’UE écarte les principaux paradis fiscaux de la planète pour se concentrer sur des juridictions certes opaques, mais dont le rôle est insignifiant à l’échelle de l’économie mondiale. « Justice fiscale : état des lieux 2020 » confirme d’ailleurs que deux des juridictions inscrites sur la liste noire de l’UE, Palaos et Trinité-et-Tobago, bien que ne coopérant pas avec les réglementations fiscales internationales, ne sont à l’origine d’aucune perte fiscale observable pour d’autres pays.

Le territoire britannique des Caïmans, quant à lui, inscrit brièvement et pour la première fois sur cette liste noire en février 202011 avant d’être retiré en octobre 2020, ses pratiques fiscales ayant finalement été jugées conformes aux normes fiscales internationales, est pourtant responsable de la plus grande partie des pertes fiscales des pays (16,5 pour cent des pertes mondiales, soit plus de 70 milliards de dollars par an. Selon le Réseau pour la justice fiscale, le fait que les pratiques fiscales des îles Caïmans soient jugées conformes aux règles fiscales internationales, alors même que ce territoire est de loin le plus propice à la fraude fiscale à l’échelon international, est tout à fait révélateur des lacunes des règles fiscales internationales actuelles.

Collectivement, les États membres de l’UE sont responsables de 36 pour cent des pertes fiscales mondiales, soit un manque à gagner fiscal de plus de 154 milliards de dollars chaque année.

Alex Cobham, Directeur général du Réseau pour la justice fiscale, a déclaré :

« Un système fiscal mondial qui perd plus de 427 milliards de dollars chaque année n’est pas un système défaillant, c’est un système programmé pour échouer. Sous la pression des grands groupes internationaux et des puissants paradis fiscaux tels que les Pays-Bas et le réseau britannique, nos gouvernements ont programmé le système fiscal mondial afin qu’il réponde en priorité aux aspirations des sociétés et individus les plus fortunés, avant de satisfaire les besoins de tous les autres. La pandémie a mis au jour les répercussions désastreuses de la transformation de la politique fiscale en un outil propice aux fraudeurs fiscaux plutôt qu’au service du bien-être de la population.

« Aujourd’hui plus que jamais, nous devons reparamétrer notre système fiscal mondial afin de donner la priorité à la santé et aux moyens de subsistance des individus, et non aux aspirations d’acteurs déterminés à ne pas payer d’impôts. Nous appelons les gouvernements à taxer les bénéfices excessifs des grandes multinationales qui pénalisent des pays depuis des années, en mettant particulièrement l’accent sur celles dont les bénéfices ont grimpé en flèche durant la pandémie, alors que les entreprises locales ont été contraintes à cesser toute activité. Pour les géants du numérique qui prétendent avoir à cœur l’intérêt de la population quand eux-mêmes se dérobent à leurs obligations fiscales à hauteur de plusieurs milliards de dollars, cet impôt pourrait faire fonction de taxe de rédemption. Parallèlement, un impôt sur la fortune permettrait aux plus nantis d’apporter la contribution qui devrait être la leur en cette période critique. »

Dr Dereje Alemayehu, Coordinateur exécutif de l’Alliance mondiale pour la justice fiscale, a déclaré :

« Les chiffres saisissants des inégalités mondiales présentés dans le rapport ‘Justice fiscale : état des lieux 2020’ donnent à réfléchir. Les pays à faible revenu perdent chaque année plus de la moitié de ce qu’ils dépensent dans le domaine de la santé publique au profit des paradis fiscaux – des pertes qui permettraient pourtant de financer les salaires annuels de près de 18 millions d’infirmiers. L’incapacité de l’OCDE à mettre en œuvre des réformes significatives12 des règles fiscales mondiales ces dernières années, alors même qu’elle n’a eu de cesse d’affirmer sa bonne volonté à cet égard, a clairement montré qu’un ‘club de pays riches’ n’était pas à la hauteur de la tâche. Les données dont on dispose aujourd’hui, révélant que les pays de l’OCDE sont collectivement responsables de près de la moitié de toutes les pertes fiscales à travers le monde, confirment le fait que cette tâche n’était assurément pas du ressort de ce ‘club’ de pays très impliqués dans les paradis fiscaux.

« Nous devons mettre en place une convention fiscale des Nations Unies aux fins d’initier des réformes fiscales à l’échelle mondiale. Ce n’est qu’en confiant aux Nations Unies le processus d’établissement des normes fiscales internationales que nous pourrons garantir une gouvernance fiscale internationale transparente et démocratique et nous assurer du caractère véritablement juste et équitable de notre système fiscal mondial, dans le respect des droits fiscaux des pays en développement. »

Pour les gouvernements, trois mesures contre la fraude fiscale

Le Réseau pour la justice fiscale, l’Internationale des services publics et l’Alliance mondiale pour la justice fiscale appellent les gouvernements à prendre trois mesures pour lutter contre la fraude fiscale à l’échelle mondiale :

· Introduire un impôt sur les bénéfices excessifs pour les multinationales qui engrangent des profits excessifs durant la pandémie, à l’instar des géants mondiaux du numérique, dans le but de mettre fin aux abus en matière de transferts de bénéfices. Les bénéfices excessifs des multinationales seraient ainsi identifiés au niveau mondial, et non à l’échelon national, pour empêcher ces entreprises de déclarer une partie seulement de leurs bénéfices en transférant le reste dans des paradis fiscaux. Chaque pays où opère la multinationale pourrait alors imposer une partie de ses bénéfices excessifs à l’échelle mondiale, selon le taux national de l’impôt sur les sociétés. La taille de la part des bénéfices excessifs taxables dans le pays serait fonction de la part de la main-d’œuvre et des ventes de la multinationale dans ce même pays. Cela signifie que les pays où les multinationales embauchent davantage, exploitent des usines et des bureaux, et vendent des biens et des services – en d’autres termes, les pays où elles exercent réellement leurs activités – auront le droit d’imposer une plus grande part des bénéfices excessifs de ces entreprises, selon le taux national en vigueur de l’impôt sur les sociétés, que les pays où la multinationale n’existe qu’à travers une boîte aux lettres louée aux seules fins d’y transférer ses bénéfices. Cette méthode de taxation des bénéfices mondiaux est connue sous le nom d’impôt unitaire.

· Introduire un impôt sur la fortune pour financer la lutte contre le Covid-19 et remédier aux inégalités à long terme exacerbées sous l’effet de la pandémie, assorti de taux punitifs pour les actifs détenus à l’étranger (actifs offshore) en toute opacité et d’un engagement des gouvernements à mettre fin à cette opacité. La valeur des actifs des super-riches a déjà explosé pendant la pandémie, alors même que le chômage atteignait des niveaux records dans de nombreux pays.

· Établir une convention fiscale des Nations Unies offrant un forum mondial et véritablement représentatif qui définisse des normes multilatérales uniformes en matière d’imposition des sociétés et garantisse la coopération fiscale nécessaire entre les gouvernements ainsi qu’une transparence fiscale multilatérale complète.

· Les pays du G20 réunis demain responsables de plus d'un quart de l’évasion fiscale mondiale.

Les pays membres du G20 qui se réunissent ce week-end pour le Sommet 2020 des dirigeants sont collectivement responsables de 26,7% des pertes fiscales mondiales, ce qui coûte aux pays plus de 114 milliards de dollars en perte d’impôts chaque année. Les pays du G20 eux-mêmes perdent également plus de 290 milliards de dollars annuellement.

En 2013, le G20 a mandaté l'OCDE pour exiger la collecte des données pays par pays analysées par l'État de la justice fiscale 2020 - une demande à laquelle l'OCDE avait longtemps résisté jusqu’à présent. En 2020, la consultation de l'OCDE sur les rapports pays par pays a souligné deux demandes majeures des investisseurs, de la société civile et des principaux experts: que la norme technique soit remplacée par la norme de la Global Reporting Initiative et surtout que les données soient rendues publiques. 15

Le Tax Justice Network appelle le sommet des chefs d'État du G20 de ce week-end à exiger la publication des rapports pays par pays de toutes les multinationales, afin que les Sociétés responsables d’évasion fiscale ainsi que les juridictions qui les facilitent puissent être identifiés et tenus de rendre des comptes.

Justice fiscale : état des lieux 2020

Cette publication inaugurale de « Justice fiscale : état des lieux » s’accompagne de nombreuses grandes premières. Édition originale du tout premier rapport annuel de ce type consacré au coût économique et social annuel des abus fiscaux internationaux, elle constitue également la première étude qui présente des estimations globales des sommes colossales de recettes fiscales perdues chaque année par l’ensemble des pays de la planète en raison d’abus fiscaux commis par des personnes physiques et morales, et qui en explique les répercussions sur les dépenses de santé nationales.