Avis consultatif de la CIDH sur la liberté d'association : une bouffée d'air frais pour le mouvement syndical international

Par Marcelo Di Stefano, dirigeant de FATUN/Argentine Membre du Conseil exécutif de l'Internationale des Services Publics.

Rarement un avis consultatif de la Cour Inter-Américaine des Droits Humains (CIDH) n'aura été accueilli par la société civile avec autant de joie, pour de nombreuses raisons, mais il en est une qui se détache parmi elles, c'est qu'il s'agit incontestablement d'une bouffée d'air frais, qui, avec sa légère brise, souffle un peu de la stupeur asphyxiante et putride des accords de la troïka, du pouvoir des entreprises, et aussi - disons-le clairement - de la connivence d'un certain syndicalisme claudicant qui pratique la danse de la diplomatie "in peius".

Rarement un avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l'homme n'aura été accueilli par la société civile avec autant de joie.

L’avis consultatif (AC) qui sera analysé ici défend la liberté d'association en tant que droit humain fondamental, reconnaît expressément le droit de grève, redéfinit et actualise les obligations des États en matière de promotion des droits syndicaux des femmes, et expose une nouvelle vision de l'articulation et de la nature contraignante des traités internationaux relatifs aux droits humains, des normes internationales du travail de l'OIT et de l'interprétation de ces normes par les organes spécialisés.

La Cour a dit dans son AC ce que nous, dans le secteur progressiste du mouvement syndical international, avons défendu dans chacun des forums, ce que les travailleurs.euses expriment dans la rue lorsque leurs droits sont restreints, ce que disent les mouvements féministes dans le domaine syndical, ce que les universitaires engagés dans les causes populaires enseignent dans les universités. Nous devons prendre cette manifestation de la CIDH comme un outil de sensibilisation et la promouvoir comme une confirmation de nos postulats, et par ailleurs, l'intérioriser dans notre argumentation comme une pièce fondamentale pour renforcer la stratégie politique et juridique, la diffuser à travers des séminaires, la formation syndicale et l'analyse doctrinale.

Qu'est-ce qu'un avis consultatif de la Cour ?

La CIDH a, entre autres, le pouvoir d'émettre un avis juridique, à la demande d'un organe ayant qualité pour le faire - en l'occurrence la Commission interaméricaine des droits humains - concernant l'extension et la protection des droits humains, conformément à la portée de tout traité international applicable dans les États membres de l'Organisation des États américains - OEA.

Contrairement à ce qui se passe lorsqu'elle doit se prononcer sur un cas concret, où elle doit apprécier des circonstances et des arguments particuliers, et décider sur la base des preuves produites, lorsque la Cour émet un avis consultatif, elle le fait en répondant à des questions théoriques, des formulations qui mettent en cause la portée des normes qui composent le plexus normatif de la protection des droits humains pour les pays qui font partie de l'OEA.1

Quels sont les effets d'un avis consultatif ?

Les réponses de la Cour à un avis consultatif constituent une doctrine d'une pertinence extraordinaire. Il s'agit d'une doctrine originale, élaborée par l'organe qui a la capacité d'appliquer la norme. Il s'agit de l'interprétation primaire du contenu d'un Traité, ou d'un ensemble de traités comme dans le cas analysé.

Nous aimons dire que, d'une certaine manière, il constitue également une jurisprudence anticipée, un précédent dans l'abstrait, mais qui, en raison de son poids spécifique, conditionnera l'interprétation de la Cour elle-même dans les futures affaires qui lui seront soumises pour analyse et décision. De même, l'interprétation originale des organes et des tribunaux internationaux spécialisés dans les droits humains - traités, conventions, normes internationales du travail, etc. - est contraignante pour les tribunaux nationaux conformément à la Convention de Vienne, qui prescrit le respect du droit international "dans les conditions de sa validité". Par conséquent, la doctrine établie par l'avis consultatif a une valeur juridique profonde pour les litiges devant les tribunaux nationaux et internationaux. C'est un outil pertinent car il contient l'évaluation du traité, allant au-delà de sa rédaction, expliquant son esprit, mettant en relation un instrument spécifique avec le reste du système normatif, et anticipant les réponses de la Cour aux conflits futurs qu'elle pourrait être amenée à résoudre.

Quelles sont les questions sur lesquelles la Commission a interrogé la Cour ?

Plus précisément, la Commission a demandé à la Cour un avis sur l'étendue des obligations des États dans le cadre du système interaméricain, les garanties de la liberté d'association, leur relation avec d'autres droits et leur application dans une perspective de genre.

La Commission interaméricaine a soulevé diverses questions dans sa consultation, que la Cour, avec une profondeur méthodologique, a reformulé dans les 3 questions suivantes :

  1. Quelle est la portée des droits à la liberté syndicale, à la négociation collective et à la grève, et comment sont-ils liés aux droits à la liberté d'expression, à la liberté d'association, au droit de réunion et au droit à des conditions de travail justes, équitables et favorables ?

  2. Quel est le contenu du droit des femmes d'être à l'abri de toute forme de discrimination et de violence dans l'exercice de leurs droits à la liberté syndicale, de négociation collective et de grève ?

  3. Quelle est la portée de l'obligation de l'État de protéger l'autonomie des syndicats et de garantir la participation effective des femmes en tant que membres et dirigeantes syndicales, et quelle est la portée de l'obligation de l'État de garantir la participation des syndicats à l'élaboration des politiques publiques et des réglementations relatives au travail dans le contexte de l'évolution du marché du travail par l'utilisation des nouvelles technologies ?

Avant de prendre sa décision, la Cour a ouvert une audience publique au cours de laquelle des organisations syndicales, des universitaires, des représentant.e.s des États et des organisations de la société civile ont exprimé leurs positions sur les questions qui constituaient le "sujet du decidendum".

Les normes internationales du système interaméricain des droits humains qui, en principe, devraient être analysées pour fournir des réponses aux questions sont la Charte de l'OEA2 , la Déclaration américaine des droits et devoirs humains3 , humains3 , la Convention américaine relative aux droits humains (Pacte de San José, Costa Rica)4 et son Protocole additionnel relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Protocole de San Salvador)5 , et la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre les femmes (Convention de Belem do Pará)6.

Quelles sont les conclusions les plus pertinentes de l'avis consultatif ?

L’AC est systémique, c'est-à-dire qu'il maintient une ligne d'analyse juridique fondée sur le contenu normatif de chacun des instruments applicables, les relie entre eux, puis répond aux questions posées. Afin de faciliter l'exploration initiale du contenu de l’AC et de souligner l'importance des conclusions, nous décrirons brièvement ses points les plus pertinents :

a) Les droits du travail doivent être considérés comme des droits humains fondamentaux.

La Cour procède à un examen intégré des normes protectrices de la liberté syndicale contenues dans les instruments du système interaméricain des droits humains, et réalise des avancées inédites dans son articulation avec les normes internationales du travail - Conventions et Recommandations de l'Organisation internationale du travail - et les prises de position de ses organes de contrôle - Comité de la liberté syndicale et Commission d'experts sur les Conventions et Recommandations. De même, et de manière cohérente, il propose une interprétation globale des instruments régionaux avec les normes de travail contenues dans les traités internationaux relatifs aux droits humains7 , et va plus loin en incorporant les avis de la Cour européenne en relation avec la Charte sociale européenne.

Nous pouvons conclure, en suivant le raisonnement de la Cour, qu'il existe un ensemble de normes internationales protégeant les droits humains au travail, qui sont intégrées dans un système, formant un noyau juridique indissociable. La liberté d'association, y compris ses dimensions de libre organisation de l'activité syndicale, de négociation collective et de grève, jouit donc de la plus haute protection en tant que droits fondamentaux humains, et les États doivent garantir la pleine jouissance de ces droits.

(b) La liberté d'association couvre les travailleurs.euses du secteur privé et du secteur public.

La Cour reconnaît que l'extension du droit à la liberté d'association, en tant que droit humain fondamental, ne comporte aucune restriction pour les travailleurs.euses du secteur public. Cela implique l'exercice du droit dans toutes ses dimensions, y compris la formation de syndicats, la négociation collective et la grève.

La reconnaissance n'est pas abstraite et encore moins déclarative, il s'agit d'un droit concret, c'est pourquoi les Etats doivent garantir l'exercice effectif du droit à la liberté d'association, en effet, la Cour rappelle qu'ils doivent le promouvoir, et lever les obstacles législatifs et/ou administratifs qui pourraient l'entraver ou le gêner.

c) La liberté d'association doit être large, et est directement liée à tous les droits humains.

La Cour a fourni une description complète des différentes activités qui constituent l'aspect organisationnel de la liberté d'association - le droit de former des syndicats, l'établissement sans autorisation préalable de l'État, la protection de l'activité syndicale, la libre élection des représentant.e.s, etc. - cette contribution systématique de l’AC renforce le concept et accorde une protection aux éléments instrumentaux qui sont une condition nécessaire à l'exercice du droit d'organisation.

En matière d'organisation, la Cour, conformément à la doctrine de l'OIT, a également approuvé la compatibilité de la liberté d'association avec les systèmes de négociation collective qui accordent une propriété exclusive au syndicat le plus représentatif, ainsi qu'avec ceux dans lesquels sont intégrées des représentations plurielles de différents syndicats.

L'AC soulève également l'importance de la protection de la liberté d'association en tant qu'outil pour construire et générer de nouveaux droits. Considérée comme une conquête, la reconnaissance des droits humains naît souvent de conflits sociaux en passant par les étapes classiques d'interdiction-acceptation-reconnaissance. La protection de la liberté d'association permet donc l'exercice d'autres droits humains, ainsi que la lutte pour la conquête - la création - de nouveaux droits.

d) La consécration du droit de grève comme un droit humain et social.

C'est peut-être le point le plus réjouissant pour le mouvement syndical international dans l'avis consultatif, qui démonte tous les arguments que le groupe des employeurs a maintenus depuis 2012 à l'OIT, lorsqu'ils ont bloqué les débats de la Commission de l'application des normes en soutenant avec des discours fallacieux et mesquins que la Convention C87 ne contenait pas la reconnaissance du droit de grève.

La Cour est très claire sur le fait que le droit de grève est un des droits humains fondamentaux au travail, admet qu'il n'est pas reconnu de manière exhaustive dans les conventions de l'OIT, mais soutient que l'article 3 de la Convention 87 reconnaît le droit des syndicats d'organiser leurs activités en toute liberté et de formuler leur programme d'action, associant ce point à l'argumentation du Comité de la liberté syndicale qui a décrit la grève comme un "corollaire inséparable du droit syndical protégé par la Convention 87".

La Cour ne s'arrête pas aux formalismes, et avance dans une interprétation conceptuelle en estimant que "la grève constitue un moyen légitime de défense des intérêts économiques, sociaux et professionnels. Il s'agit d'un recours exercé par les travailleurs.euses comme moyen de pression sur l'employeur afin de corriger une injustice, ou de rechercher des solutions à des questions de politique économique et sociale et à des problèmes qui se posent dans les entreprises et qui intéressent directement les travailleurs.euses". En ce qui concerne la garantie de son exercice, elle stipule que "les États doivent respecter et assurer qu'elle puisse être effectivement exercée par tous les travailleurs.euses sans discrimination. A cette fin, ils doivent adopter les mesures nécessaires pour éviter que les conditions et les préalables à la grève ne constituent un obstacle à son exercice effectif".

e) Les États doivent garantir l'exercice de la liberté d'association en protégeant les dirigeant.e.s syndicaux.

La Cour insiste sur l'obligation des États de garantir le droit humain par excellence, le droit à la vie, et doit donc adopter des mesures spéciales pour la protection de la vie des syndicalistes, notamment lorsqu'ils.elles exercent leur travail de représentation dans des contextes de violence, afin qu'ils.elles puissent exercer leur droit à la liberté d'association.

f) Les États doivent promouvoir la participation syndicale des femmes et des groupes LGBT+.

L’AC commence par l'interdiction classique de "tout comportement qui peut être considéré comme discriminatoire à l'égard de l'exercice des droits syndicaux par les femmes", puis adopte une position proactive en déclarant que "les États doivent adopter les mesures positives nécessaires pour inverser ou modifier les situations discriminatoires, ce qui exige que l'État évolue vers l'existence d'une égalité réelle entre les hommes et les femmes dans l'exercice des droits syndicaux".

Non seulement la Cour énonce des principes génériques, mais elle avance des concepts concrets tels que la nécessité d'adopter des mesures pour parvenir à une participation équilibrée et proportionnelle des hommes et des femmes sur le lieu de travail, d'éliminer les obstacles qui empêchent les femmes de participer activement aux syndicats et à leurs postes de direction, et de protéger les dirigeantes syndicales contre les actes de violence, et toute autre forme de discrimination, survenant à l'intérieur ou à l'extérieur de la vie syndicale.

La Cour prévient également que la perspective de genre avec laquelle les instruments des droits humains doivent être interprétés doit inclure d'autres groupes de personnes en situation de vulnérabilité, comme les personnes LGBT+, et que par conséquent "aucune norme, décision ou pratique du droit interne, qu'elle émane d'autorités étatiques ou de particuliers, ne peut diminuer ou restreindre, de quelque manière que ce soit, les droits d'une personne sur la base de son orientation sexuelle, de son identité de genre et/ou de son expression de genre".

(g) Il n'est pas possible de déroger "in peius" aux protections établies par le droit du travail par le biais de la négociation collective.

La Cour reconnaît "la nature protectrice du droit du travail", et il est clair que permettre de déroger au droit du travail in peius, par le biais de la négociation collective, placerait les travailleurs.euses dans une situation plus défavorable et violerait la protection établie dans les normes nationales et internationales.

h) Les États devraient étendre la protection de la liberté d'association aux travailleurs.euses qui exercent leur activité par le biais de plateformes numériques.

L’AC ne couvre pas seulement les aspects traditionnels de la liberté d'association, mais intègre également les dimensions qui remettent en question la portée du système de protection et l'obligent à chercher des réponses inédites afin de maintenir sa validité. C'est pourquoi la Cour estime que les travailleurs.euses qui accomplissent leurs tâches par le biais du télétravail, ou par l'utilisation de plateformes numériques, ou dans des contextes de travail avec l'application de nouvelles technologies, doivent se voir reconnaître la protection de leurs données, de leur vie privée, de leurs conditions de travail, et surtout, le plein exercice de leurs droits du travail et syndicaux, droits qui doivent être garantis par les États.

En conclusion :

La Cour interaméricaine des droits humains a repris dans son avis consultatif beaucoup d’éléments que nous, dans le mouvement syndical international, avons défendus et qui nous ont été refusés par les lobbyistes des entreprises qui ont coopté et dirigé la stratégie des employeurs à l'OIT. Nous devons agir courageusement et profiter de cette confirmation de notre vérité pour renforcer la stratégie et passer à l'offensive.

Au cours de cette décennie de relations diplomatiques depuis la crise de la Commission d'application des Normes de 2012 - le blocus patronal - nous n'avons fait aucun progrès, bien au contraire, nous constatons une offensive pour démanteler le système de régulation, affaiblir le rôle des organes de contrôle et museler le syndicalisme.

Depuis 2020, nous sommes confrontés à la pandémie de Covid qui a aggravé l'inégalité et la pauvreté dans le monde, il est nécessaire que le syndicalisme se renforce pour placer les personnes au-dessus du profit, pour générer un nouveau modèle social centré sur les personnes, et pour faire face au capitalisme - toujours résilient - à partir d'une proposition politique durable et progressiste fondée sur l'égalité réelle, le respect des minorités, et la durabilité environnementale, qui n'est possible que dans un monde où la liberté d'association est pleinement respectée.


1 ÉTATS MEMBRES : Antigua-et-Barbuda, Argentine, Bahamas (Commonwealth des), Barbade, Bolivie, Brésil, Colombie, Costa Rica, Cuba, Chili, Dominique (Commonwealth des), République dominicaine, Équateur, El Salvador, Grenade, Guatemala, Haïti, Honduras, Jamaïque, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Suriname, Trinité-et-Tobago, États-Unis, Uruguay, Venezuela.

2 http://www.oas.org/es/sla/ddi/docs/tratados_multilaterales_interamericanos_A-41_carta_OEA.pdf

3 http://www.oas.org/es/cidh/mandato/Basicos/declaracion.asp

4 https://www.oas.org/dil/esp/tratados_b-32_convencion_americana_sobre_derechos_humanos.htm

5 https://www.oas.org/juridico/spanish/tratados/a-52.html

6 https://www.oas.org/juridico/spanish/tratados/a-61.html

7 Il s'agit notamment de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies (1948), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966).