Un revenu universel sans services publics, le paradis des néolibéraux

Pourquoi les gouvernements devraient-ils donner de l'argent avant de fournir des services publics gratuits et de qualité à tous?

Des milliardaires de la high-tech aux leaders socialistes, le revenu universel de base (RUB) captive l’imaginaire collectif, tous horizons politiques confondus. Ce mécanisme qui accorderait à chacun, indépendamment de son statut professionnel, des paiements réguliers en espèces, suffisants pour vivre, est de plus en plus prôné comme une politique fondamentale pour maintenir la stabilité et garantir un niveau de vie décent.

Pourtant, nombreux sont ceux qui, au sein du mouvement syndical, ne savent pas très bien comment aborder cette problématique. C’est pourquoi notre fédération syndicale internationale, l’Internationale des services publics (ISP), a œuvré en collaboration avec la New Economic Foundation (NEF) à la préparation d’une étude syndicale approfondie sur cette question.

Après avoir passé en revue 14 tests, de l’Inde à l’Alaska, l’étude a conclu que même si les expériences conduites sur le RUB fournissent des éclaircissements utiles sur la nature du travail et du bien-être, les preuves ne suffisent pas pour suggérer que le RUB soit l’outil le plus apte à relever les défis les plus fondamentaux de notre époque : inégalité, redistribution des richesses, travail précaire et numérisation.

Ce que les études démontrent, c’est que l’octroi de paiements en espèces aux plus pauvres contribue à améliorer leurs conditions de vie sans pour cela augmenter les dépenses inutiles ou la paresse, contrairement à ce que voudraient nous faire croire de nombreux politiciens de droite.

Ce qui donne beaucoup de poids à l’argument selon lequel notre système de protection sociale a besoin d’une remise à plat : il est grand temps d’en finir avec les tests punitifs et la diabolisation des pauvres.

Cependant, les dépenses publiques impliquent inévitablement certains choix – et le RUB n’est résolument pas à la hauteur si on le compare au financement de services publics de meilleure qualité. Verser à une mère célibataire un montant en espèces pour qu’elle se débrouille toute seule face à un marché du logement en inflation n’est pas aussi efficace que de garantir des logements publics de qualité. Donner aux gens plus d’argent pour faire le plein d’essence n’est pas aussi progressiste que de leur assurer un transport public gratuit.

En ce qui concerne le RUB, il est peu probable que des modèles universels et suffisants soient abordables, alors que ceux qui sont abordables ne sont pas universels. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que le coût moyen mondial du RUB, exprimé en pourcentage du PIB, serait de 32,7 %. La moyenne mondiale des dépenses publiques représente actuellement 33,5 % du PIB.

Des services publics mieux financés

Tant que nous ne parviendrons pas à relever considérablement les recettes publiques – ce contre quoi les ultra-riches se sont battus bec et ongles – il est clair que tout programme de RUB requerra des réductions massives dans les services publics essentiels, y compris l’éducation, les soins de santé et les infrastructures. Bien que les acteurs du mouvement RUB soient nombreux à pointer les économies administratives et les mesures préventives engendrées par le RUB, il y a peu de preuves attestant que celles-ci suffiront à financer le RUB, étant donné les sommes importantes qui seront encore requises pour subventionner la santé publique, l’éducation et les infrastructures.

Le fait est que des services publics gratuits, tels que la santé et l’éducation, constituent l’une des armes les plus puissantes dans la lutte contre les inégalités. Ils profitent à tous les membres de la société, et surtout aux plus pauvres.


Selon l’OCDE, les services universels fournis par les pouvoirs publics donnent aux pauvres un supplément équivalent à 76 % de leurs revenus après impôts et sont fortement progressifs.

Du reste, le RUB n’existerait pas dans un vide politique. D’aucuns soutiennent qu’une fois en place, les obligations de l’État seraient largement remplies. Les citoyens consommateurs pourraient alors acquérir des « produits-services » sur le marché libre. Il n’est guère étonnant qu’au premier plan des zélateurs les plus illustres du RUB l’on trouve des milliardaires de la high-tech de la Silicon Valley, comme Mark Zuckerberg et Elon Musk.

Ceux-ci affirment que la robotisation rendra bientôt le revenu universel indispensable. Pourtant, les progrès technologiques et l’inégalité n’échappent pas au champ du contrôle humain. L’accroissement du travail précaire, ou « ubérisation » a, dans bien des cas, été plutôt la conséquence du non-respect des lois du travail par des sociétés multinationales (comme Uber) que d’un quelconque progrès technologique. En ce sens, le RUB peut être considéré comme une capitulation à la dérégulation et à l’exploitation et non comme une solution à celles-ci.

Le fait que de nombreux emplois seront automatisés ne signifie pas que le « travail » disparaîtra. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il y aura, d’ici à 2035, une pénurie de 12,9 millions de travailleurs de la santé au niveau mondial. Et d’ici 2030, les pays devront recruter 69 millions d’enseignants. L’éradication de la pauvreté et la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) nécessiteront une quantité énorme de « travail » - avec un résultat socialement bénéfique – que le marché ne pourra tout simplement pas financer, avec ou sans RUB.


De nombreux défenseurs du revenu universel soulèvent une série de points extrêmement importants qui ne peuvent être ignorés : nous devons éliminer les systèmes d’aide sociale punitifs, empêcher les milliardaires de la haute technologie et les ultra-riches de siphonner l’argent vers les paradis fiscaux et redistribuer le pouvoir, la richesse et les ressources.

Mais un RUB sans services publics est un paradis pour les néolibéraux. Aussi, dès lors que nous aurons mobilisé la volonté politique nécessaire pour réunir les fonds supplémentaires considérables requis pour éradiquer les inégalités – le financement de la santé publique, du transport, du logement et de l’éducation ne devra-t-il pas certainement constituer notre principale priorité ?

Des services publics de qualité, gratuits et universels, voilà une revendication qui mérite d’être défendue. Aux progressistes du mouvement RUB : commençons d’abord par remporter ce combat.