La lutte pour le travail décent

Depuis 2008, le monde entier célèbre la Journée mondiale pour le travail décent le 7 octobre. Cette Journée est la réponse des syndicats à l'augmentation de la précarité du travail et du chômage ainsi qu’à la diminution de la sécurité de l’emploi et des salaires. La numérisation croissante, le manque de régulation et le recours à l’intelligence artificielle (IA) au travail renforceront certainement la plupart de ces tendances.

La dévaluation du travail exerce un impact énorme non seulement sur les travailleurs et les travailleuses, mais aussi sur les citoyen-ne-s qu’ils-elles servent. Les professionnel-le-s de la santé en sont l’exemple parfait. Du berceau à la tombe, l’être humain a besoin de soins : les services de garde d’enfant protègent l'avenir, tandis que les soins aux personnes âgées préservent la dignité des plus âgés. Les services de soin contribuent en outre à garantir l'égalité des chances et les droits des personnes handicapées, et il est fort probable qu’à un moment ou un autre de notre vie, nous aurons besoin de services sociaux pour répondre à une partie de nos besoins, notamment ceux résultant de maladies ou de la pauvreté. Le nombre de personnes ayant besoin d’aide sociale ne cessant d’augmenter, les services de soin publics ont été pris d’assaut, ce qui a entraîné une qualité et une disponibilité moindres des soins pour les personnes défavorisées, qui ont le plus besoin d’aide sociale. La fourniture de services de santé est devenue un véritable marché, focalisé sur le profit. L’exploitation du travail des migrant-e-s, les contrats zéro heure et l'informalisation des emplois dans le secteur des soins sont quelques exemples du quotidien des professionnel-le-s de la santé, qui non seulement perçoivent un salaire de misère pour travailler dans des mauvaises conditions, mais qui sont aussi de plus en plus souvent exposés à la violence et au harcèlement dans le cadre de leur travail.

Au cours de l’Assemblée générale de l’ONU on septembre 2015, le travail décent et les quatre piliers de l’Agenda pour le travail décent de l’OIT – création d’emploi, protection sociale, droits au travail et dialogue social – sont devenus des éléments centraux du nouveau Programme de développement durable à l'horizon 2030 et de ses 17 Objectifs de développement durable (ODD). L'Objectif 8 de l’Agenda vise entre autres à promouvoir une croissance économique durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tou-te-s, ainsi qu’à défendre les droits des travailleurs et travailleuses, promouvoir la sécurité sur le lieu de travail et assurer la protection de tous les travailleurs et travailleuses y compris les migrant-e-s.

Toutefois, des ressources considérables sont nécessaires pour atteindre ces objectifs : la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUED) estime que la réalisation des 17 Objectifs coûtera entre 5 000 et 7 000 milliards de dollars. Si les gouvernements possèdent une bonne partie des ressources, d'autres investissements significatifs seront nécessaires pour y parvenir. Par conséquent, les Nations Unies étudient actuellement la possibilité de recourir à des investissements « à impact social » ou à des mécanismes de « financement innovant » et à d’autres manières non traditionnelles de lever des fonds pour la coopération internationale au développement, notamment grâce à des partenariats public-privé (PPP) et à des transactions financières orientées sur le marché.

Pendant de nombreuses décennies, nous avons été témoins de l’échec des promesses et des miracles de la privatisation et des PPP. Cette nouvelle tentative ne connaîtra pas une issue différente. Comme prévu, le « marché » et les personnes se trouvant dans ses coulisses ne se soucient guère de la durabilité ou de l’aspect social de leur « investissement », mais uniquement de leurs profits : plus vite elles obtiennent un retour sur investissement, le mieux c’est. Il y a donc un risque élevé que les objectifs à court terme soient privilégiés par rapport aux objectifs à long terme, que les différentes agences des Nations Unies se disputent les fonds – chacune essayant de proposer le portefeuille d'investissement le plus attrayant pour séduire les investisseurs – ou encore que des activités essentielles soient reportées pour donner la priorité aux activités les plus rentables.

Le secteur lucratif représente une menace sérieuse pour le système des Nations Unies dans son ensemble et surtout pour l’OIT : un partenariat avec des entreprises réputées pour leur politique de bas salaires, leur position antisyndicale, l’évasion fiscale et la violation des droits humains ternira sa réputation et mettra en question sa capacité de poursuivre les efforts pour lutter contre la pauvreté et améliorer les conditions de vie et de travail de millions de personnes.

A l’occasion de cette Journée mondiale pour le travail décent, nous affirmons que la lutte pour le travail décent est également une lutte pour la protection de l’humanité contre les intérêts à but lucratif et les entreprises qui tirent profit de la marchandisation des emplois, des services de santé et de la protection sociale.

Nous restons solidaires dans la lutte pour la dignité des travailleurs et travailleuses du monde entier, et exigeons des politiques et programmes de travail décent qui permettront de vraiment réaliser les Objectifs de développement durable.